11 mars 2024

100 - L'héritage de Clinchamp

A Clinchamp j'ai maintes fois perçu des aubes porteuses d'ombres n'ayant d'autre espoir que d'aboutir au naufrage de soirs sans gloire, vu des aurores moroses se conclure par d'accablants crépuscules, ouvert les yeux sur des matins aussi sombres que des jours de deuil, été éclairé par des levers de Soleil n'aboutissant qu'à l'ennui de journées dénuées d'éclat, emprunté des chemins sans surprise menant à des déceptions attendues, gravi des monts insignifiants débouchant sur des platitudes, voyagé vers de mornes impasses pour échouer dans des heures parfaitement statiques.
 
Mais aussi, et cela n'en est que plus remarquable, été emporté dans les cieux par des ailes blanches, ultimes, éthérées. D'autant plus haut que le sol fut bas, lourd, noir.
 
Bien qu'entouré de bouses et de lourdeurs, de sabots et d'épaisseurs, je suis monté jusqu'au sublime, porté par l'esprit véritable des lieux, faisant abstraction des communes apparences, débarrassé des brumes de l'intelligence strictement horizontale et des voiles de la pensée purement pragmatique.
 
En effet, dans ce banal clocher de la Haute-Marne règne, en réalité, toute la beauté du monde. La sobriété du paysage reflète l'essentiel de la Création : c'est à travers la modestie des choses, l'aspérité du visible, l'humilité des moyens que se manifeste le miracle du quotidien sans cesse renouvelé.
 
Un horizon fade, une terre obscure, un ciel opaque, des hommes aux fronts ternes et quelques vaches beuglantes, une ambiance de marbre, des dimanches comme des tombes, rien de plus motivant pour aller de l'avant ! Voilà bien une incitation à progresser vers des espaces lumineux.
 
C'est même la porte ouverte à l'évasion. Une aventure pour l'âme, une expédition vers un ailleurs subtil, un bonheur d'accès facile, la découverte de nouvelles clartés, la merveilleuse expérience de la légèreté intérieure, la vraie liberté des êtres détachés de l'écorce du réel.
 
Et à travers le prisme de mon regard d'esthète je vois les béotiens du village semblables aux astres qui brillent dans une verdure sidérale, leur bétail tels des pégases voltigeant dans un azur mythologique, les mares aux canards pareilles à des flaques de pureté où se mire le firmament.
 
Bref, face au poids de l'ordinaire, en guise de fuite vers la ville illusoire, les mirages et vulgarités de ce siècle ou les pesanteurs matérielles, il y a la course concrète vers le beau !

Le véritable trésor que j'ai trouvé à Clinchamp s'appelle LE RÊVE.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".