19 avril 2023

35 - Les vaches de Clinchamp

A Clinchamp la gent meuglante est la même que partout ailleurs, certes... Absolument pas un poil ne distingue ces hôtes des prés des autres bovidés du pays. Ce qui est totalement vrai.
 
Sauf que sous mon oeil d'éveillé, je considère bien différemment cette population cornue.
 
Les lecteurs attentifs savent que sous ce ciel à part où je les emmène régulièrement à travers les fulgurances de ma plume, rien ne m'apparaît jamais pareil que dans le reste du monde...
 
Les quadrupèdes à cornes de ce pays sont, à mes yeux, aussi intéressants à observer que les bipèdes à sabots qui les côtoient. Bovins et hommes du coin m'inspirent autant de sentiments troubles et éblouissants...
 
Ainsi lorsque parfois, ivre de clarté et d'espace, je vagabonde dans la campagne reculée, longeant les pâtures où paissent ces animaux, il m'arrive d'aller à leur rencontre, poussé par des forces subtiles. Dans ces moments propices où je suis imprégné de la poésie brute des lieux, je me trouve dans un état second et tout en moi n'est plus que légèreté, finesse, éclat. Alors j'accède à des hauteurs nouvelles et je perçois les réalités radieuses qui se cachent sous les plus lourdes apparences.
 
Et les brouteuses d'herbe prennent des allures glorieuses, et leurs mouvements soudain sont pleins de majesté, leurs attitudes grandioses. Elles deviennent d'olympiennes créatures s'ébattant dans un champ céleste. Et leurs comportements les plus prosaïques se changent en nobles manières, leurs aspects les plus grotesques s'affinent et se magnifient. Et des grâces infinies émanent du moindre de leurs gestes..
 
Toutes leurs pesanteurs ne sont plus qu'élégances extrêmes.
 
Ainsi lorsqu'elles l'une d'elles se met subitement à uriner devant moi, j'entends d'abord le geyser mélodieux commençant à soulager sa vaste vessie. Et puis je vois un ruisseau d'or jaillir de son flanc, mêlé d'une vapeur aussi dense qu'énigmatique. Bientôt des éclaboussures ajoutent leurs reflets irisés au feu d'artifice liquide. Les gouttelettes projetées en l'air scintillent furtivement comme de minuscules diamants tout autour de l'onde qui sort de l'orifice de la bête pour généreusement s'étaler sur le sol. Et, captivé, j'admire encore ces milliers d'étincelles d'argent qui brillent dans un rayon de Soleil... Et ce n'est plus qu'un lac doré qui s'offre à ma vue, embaumé d'un nuage de mystère qui se dissipe peu à peu pour finalement me dévoiler une eau comme une nappe de cristal et d'azur...
 
Juste après ce spectacle rare, une autre ruminante relaye sa congénère et éjecte bruyamment le contenu de ses viscères. Et une masse de matière chatoyante vient fleurir comme par enchantement à ses pieds. Miraculeusement, la bouse fraîche se forme sur la verdure. Et dans cette structure circulaire enjolivée de savantes ondulations, je discerne la splendeur d'une magnifique galaxie qui m'ouvre ses bras enflammés d'étoiles.
 
Décidément, la beauté imprègne tout là-bas, dans ce village de la Haute-Marne...

Bref, les vaches de Clinchamp pissent de la lumière et chient des constellations !

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".