Le bonheur le plus accessible à Clinchamp, pour peu que votre coeur champêtre accède à la hauteur enviable des pissenlits sans jamais dépasser le sommet congru de votre chapeau de paille, ce sont les pommes de terre.
Un festin de rois en guenilles.
Bien entendu, pour savourer pleinement ce mets sans prétention, il faut avoir su demeurer simple, rustique, voire être dûment chaussé de sabots. Non point pour faire "vrai", mais par authentique amour des pesanteurs bucoliques, des lenteurs anachroniques, des pensées désuètes.
Dans ce village de mortels ordinaires, la patate se déguste à l'eau, sans rien avec. Si ce n'est avec la peau.
Et truffée de rêves ancestraux sous la braise pour la parfumer de mystère.
Oui, le tubercule des champs communs a un goût spécial sous le ciel de cette commune perdue du fin fond de la France... Il dégage des arômes troublants de vieux livres empoussiérés, de siècles oubliés, de veillées surannées.
Il a la saveur des sillons millénaires, la suavité des fables séculaires, le charme des légendes immémoriales, l'étrangeté de l'horizon peuplé de corbeaux.
Enfin, je veux parler de toutes ces choses minuscules, extraordinaires et inexprimables contenues au sein de l'humble clocher. Et perçues comme autant de trésors d'ermite par l'esthète que je suis.
Mais si par malheur vous n'êtes pas plus heureux que d'habitude en vous calant le ventre sous les étoiles avec ce festin de cul-terreux le soir au coin du feu, là-bas dans ce trou du bout du monde nommé Clinchamp, alors restez à Paname, à Babylone ou même ailleurs, bien installé dans votre salon de rat des villes que vous êtes !
Et ne revenez plus jamais salir vos semelles fines en marchant dans les bouses de vaches de cette contrée qui n'est pas la vôtre, si loin de votre confort de caniche, encore moins les foutre dans l'assiette de ces pèquenauds qu'un voyage statique autour d'un astre brun tout chaud et tout fumant suffit à enflammer !
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