01 février 2023

5 - Nulle part, là-bas, ailleurs

Je chemine sur une route bordée de néant, entre des fossés ruisselants d'insignifiances.

Au-dessus de ma tête, le ciel cadavérique déverse un crachin de novembre plein de promesses glacées.
 
Devant moi, une vallée d'immobilité. Ou plus clairement, une plaine pareille à une crypte. Agrémentée, tout de même, de quelques soupirs dans l'air. Ainsi entouré de ces invisibles agonisants, je me sens moins seul... Dans mon sillage, des bois coincés entre un horizon de léthargie et la certitude de s'enraciner dans l'oubli, des ombres traversant les champs et autres fantômes sans surprise, des empreintes d'habitudes figées dans la boue et des statues de monotonie qui se confondent avec le paysage.
 
Un silence de souche règne dans cette campagne désespérée où l'oxygène y est saturé d'ennui. Il n'y a pas une brindille de vent, pas un cheveu de mouvement, aucun cil de vie, rien que des flots d'inertie et des rafales de grisaille. Et pourtant je vole dans ce vaste crépuscule, le coeur en fête, tel un papillon d'automne emporté dans un tourbillon de feuilles mortes.
 
Je rêve, l'âme affolée, le pas brûlant, m'enivrant de l'humidité comme d'un nectar de souvenirs marécageux.
 
Ce cimetière champêtre débordant de l'humus du sol et de l'huile rance du vieux temps m'enchante. Je trouve ici mon véritable élément : le froid, le peu, l'essentiel.
 
Au milieu de cette tempête de morosité, je suis une flamme ! Au centre de cette terre semée de torpeur, je palpite et m'embrase ! Dans cette impasse naturelle où convergent pluies et tristesse, je deviens un océan de lumière ! L'austérité du réel me fait pousser des ailes. Le poids des ténèbres me force à m'alléger. La misère du dehors fait ressortir mes feux intérieurs. Les cailloux sous mes semelles me remplissent d'azur. Les étendues noires qui m'entourent m'éclairent. Ce jour de plomb me fait monter comme une plume.
 
Ici tout est vague et lointain mais j'y vois très clair. Ma peau est dure, mes sentiments sont vrais. J'avale la mélancolie des lieux et recrache de la joie.

Cette cambrousse obscure dans laquelle je m'envase, ce stade zéro du présent où le monde s'enlise, cette place remarquable d'un passé mortel, ce point de départ d'un avenir inexistant où personne d'autre que moi ne désirerait s'égarer, ce nulle part depuis lequel je puis percevoir l'infini, ce sommet ignoré de notre siècle enfin sur lequel je puis contempler l'Univers entier, se nomme tout humblement Clinchamp.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".