01 février 2023

8 - Le ciel de Clinchamp

Mon éden indépassable à moi, mon île exotique, mon azur plein d'idéal est un repaire de rats des champs nommé Clinchamp !

Un trou puant de fumier, peuplé de bouseux oubliés du siècle et déjà enterrés. Une cambrousse crottée que j'aime follement, étrangement, maladivement.
 
Ce lieu béni à mes yeux, cher à mon coeur, indispensable à mon confort mental est la malédiction du citadin sensible, éduqué, frileux.
 
Là-bas, rien n'est attirant. Tout y est déprimant. Même l'herbe a la couleur de l'ombre. La seule beauté de l'endroit consiste en son néant. Et c'est exactement cela qui m'enchante. Dans cette contrée reculée, la légèreté céleste se mêle au désespoir des sillons. Pour mieux troubler les pensées, brouiller les repères, charger les âmes.
 
C'est un univers fait pour les oiseaux lourds et les tombes à l'abandon, les pluies de douleur et les soleils d'hiver.
 
Dans cette campagne loin du monde, l'espace est pur et le sol colle aux bottes. L'éther et le plomb s'y marient à merveille. Et l'égaré n'y croise que la solitude.
 
Ce pays de crépuscule n'est qu'un immense contraste entre le haut et le bas : un ciel clair au-dessus d'un enfer de grisaille et d'immobilisme, des nuages lumineux arrosant une glèbe noire, des ailes blanches qui se déploient sur des mares fangeuses.
 
Mais aussi une accumulation de naufrages : une brise de spleen sur des arbres aux apparences de spectres, une plaine trempée de léthargie, des chemins semés d'ennui.
 
Tout parisien en col amidonné qui échouerait dans ce gouffre de verdure s'y fracasserait comme une porcelaine tombée des nues. A moins que, moins chanceux, il ne s'enlise dans l'humus pour y mourir du lent supplice du désoeuvrement...
 
Bref, c'est une terre perdue sans autre issue que la mort. Ou l'envol.
 
Un royaume de simplicité anguleuse où les rêves subtils se brisent contre le roc de la trivialité.
 
Le refuge sublime de mon être dégoûté des finesses, artifices et extravagances de la ville.
 
Ce patelin de bovins et de purin est ma névrose dorée, mon cauchemar adoré, ma caverne décorée, ma retraite d'anachorète incorrect.
 
Là est ma grotte stellaire, mon rivage de glaise séchée, mon lit de songes sur une éternité de pierres.
 
Avec ma plume de fer pour épée et mon talon boueux pour vérité, je pars retrouver mes sommets.
 
Je chemine vers ce but étroit sans autre cause que mes aspirations d'ange et mes flammes de loup.

Clinchamp est un océan de torpeur à affronter, une tempête d’inertie à apprivoiser, une bête soporifique à terrasser.

Et un firmament de péquenauds à contempler.

VOIR LA VIDEO :

2 commentaires:

  1. J’ai lu vos 8 premiers textes (et je ne compte pas en rester là). Votre prose remplit ce trou jusqu'à l'en noyer de beauté. C'est une bonne chose que de rappeler cette évidence hélas oubliée, voire combattue, par notre société antipoétique, à savoir : la banalité et la platitude, les champs mornes et les âmes frustes, sont autant de parcelles divines - mais ce sont des parcelles qui n'ont rien de suffisamment appâtant pour les yeux éteints et les esprits inféconds, ce sont des parcelles divines enrobées de plomb et de crasse, prise dans la gangue léthargique et imbécile du quotidien, et il faut bien un trouvère sélène pour les frotter, ces parcelles, et les lustrer, et, dès lors, en révéler les ors profonds. Merci, Raphaël !

    Pierre-Alain

    P.S. dire que je chemine beaucoup en Haute-Marne et que je ne suis encore jamais passé par Clinchamp ! J'ai toujours tourné autour, ai traversé Ecot-la-Combe, Consigny ou Ozières, et bien sûr le riant vallon de la Crête... jusqu'à présent je n'avais donc fait que fréquenter les marges d'un royaume dont Clinchamp est la clef de voûte subtile : le centre de nulle-part et le point d’effusion de la matière izarrienne.

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    1. Pierre-Alain,

      Je viens juste de tomber, totalement par hasard, sur votre commentaire. Je n'en avais pas reçu la notification et j'ignore d'ailleurs pourquoi...

      En réalité je me suis rendu à Clinchamp une seule fois et n'y suis resté qu'un seul jour, c'était en septembre 1992.

      Cela ne m'empêche pas d'en parler en long et en large : la plume a tous les droits en poésie.

      Marqué à mon retour en auto-stop (Clinchamp - le Mans) par une expérience poétique inédite sur la route au crépuscule, rétrospectivement j'ai fait de ce bref séjour une sorte de rêve sans limite.

      Merci de me lire.

      Raphaël Zacharie de IZARRA

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".