Les soirées de Clinchamp sont mortelles.
Ténébreuses, désolantes, vides, sinistres...
Autrement dit, pleines de rêves sombres, égayées de brumes lugubres, peuplées d'ombres lourdes comme des pierres. Tout ce qu'il faut pour inspirer des pensées grises, des sentiments mornes, des chants de rats.
Cependant, des spectres illuminent cette obscurité. Des clartés venues de ciels étranges, des flammes issues de terres lointaines, des lueurs sorties d'une autre nuit... Pour les percevoir, il faut ouvrir ses portes intérieures, élargir ses vues mentales, prendre de la hauteur.
L'âme sensible, tel un oeil affiné, reçoit cette lumière et s'en nourrit. Se perdre au milieu de cette misère nocturne où au premier abord rien d'autre ne se manifeste que le silence, le noir et l'inertie, c'est plonger dans un gouffre, se noyer dans le néant, s'immoler dans un océan d'ennui. Les éveillés ne s'arrêtent pas à cette première impression et assez vite, se laissent emporter par des ailes mystérieuses vers des horizons inconnus.
En effet, il existe un royaume de légèretés, par-delà les apparences brutes, épaisses, ternes, de ce village d'hommes en troupeaux et de bestiaux en pâtures.
Si bien que depuis la vision pénétrante du voyageur initié, les heures de désespoir sous ces nues pesantes sont en réalité de véritables fééries. A condition de regarder les choses plus loin, plus haut, plus finement qu'à l'ordinaire. Cet effort de l'âme pour quitter le sol semble néanmoins plus difficile à fournir pour les habitants habitués à la boue, encore trop proches de leurs pieds : ils ressemblent plus aux bovins qu'aux oiseaux.
Ce que l'être éclairé voit briller en ce pays de lourdauds, derrière ces porteurs de fagots, au-dessus de ces bêtes à sabots, c'est le soleil glacé de la lyre.
Une neige éternelle sur un tapis de bouses.
Alors, sur le champêtre désastre se lève l'astre idéal. Et sur la pathétique campagne retentit la poétique trompette.
A travers le prisme du barde, le clocher si banal devient flèche aérienne, les champs aux sillons prosaïques se changent en des étendues semées de prodiges, les bois remplis de solitude apparaissent comme les refuges de tous les songes, les chemins de platitudes se transforment en autant de promesses de découvertes...
Pour l'adepte de la joie austère, les soirs de tristesse sont des sommets de pure beauté.
Bref, aux yeux de l'esthète, sur cet ancestral plancher des vaches, plus un fardeau ne pèse.
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