Les jours sombres à Clinchamp sont lumineux.
Ce sont là des heures magnifiques où les ombres deviennent des spectres
pleins de vitalité, où les hommes en grisaille ressemblent aux nuages en pleurs,
où les vaches infiniment épaisses prennent des allures de mythes tout en
marbre.
Tout s'enfonce dans la terre et pourtant tout arbore des ailes : celles de
l'espoir après la pluie, de la légèreté au coeur des pesanteurs, des hauteurs
aperçues depuis les gouffres.
Le ciel de malheur en ce lieu de tous les exils engendre, paradoxalement,
une ivresse chez l'esthète que je suis. Loin de m'affliger, les larmes et
laideurs, déprimes et lourdeurs de tout ce qui m'entoure, au contraire me
réjouissent : le paysage noir, l'oiseau mort, l'horizon obscur, les chemins sans
issue font naître en moi des sentiments troubles et positifs.
Les ambiances cafardeuses m'entraînent dans une direction inverse à leur
mouvement naturel, comme par réaction de défense.
Quand le village s'enlise, je m'envole !
Je quitte son sol de misères pour rejoindre l'éther illuminé. En cet
endroit morne de la Haute-Marne, lorsqu'un manteau de tristesse s'abat sur les
toits et les têtes, mon âme est en fête.
Et je vois des faces de rats briller comme des astres, des fossés putrides
débordant d'ennui aussi vastes et mystérieux que des firmaments, des arbres
sinistres aux envergures mythologiques, des mares boueuses et puantes reflétant
des constellations enflammées.
A travers mon regard aigu, je fais de l'art avec du lourd, de l'or avec de
l'eau, des rêves dorés avec des vers de terre. C'est-à-dire, des histoires
fabuleuses avec du néant.
Bref, je fais de la plume avec du plomb.
C'est pourquoi lorsque tombent sur cette localité aux apparences de
nécropole de ploucs des torrents de mortelle mélancolie, je me sens plus vivant
que jamais.
Heureux d'être cette étoile échouée sur un rivage peuplé de statues de plâtre aux mines crépusculaires.
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