23 septembre 2023

70 - Les chats de Clinchamp

A Clinchamp les félins sont maigres, sales, méchants, pas beaux.
 
Mal nourris, peu aimés, furtifs, ils vagabondent comme de gros rats à la recherche d'on ne sait quels rêves à portée de leurs griffes. Réfugiés dans l'ombre, ils fuient le jour et les gens comme des malfaiteurs.
 
Méfiants envers les humains, ils se cachent dans des trous, des herbes hautes, des granges ou des greniers. Considérés par les habitants tantôt comme des nuisibles, tantôt comme de simples intrus, parfois comme des amis douteux, les chats de cette campagne reculée sont heureux malgré tout.
 
En ce lieu aussi improbable que propice, ils jouissent d'un bonheur suprême, précisément parce qu'ils sont à l'écart de tout, loin du bruit, à l'abri dans l'oubli. Ils ne demandent pas mieux. Le village pour eux est un cocon où ils jouissent de la liberté des loups. Là, ils sont épargnés par la civilisation. Privés d'aliments artificiels, préservés comme une espèce rare, ils avalent des oiseaux quand ils le peuvent, dévorent des souris s'il en reste et se régalent de lendemains difficiles.
 
Farouches, affamés, débrouillards, par la force des choses ils ont gardé intacts leurs instincts de prédateurs. Et leurs moustaches n'attirent point les enfants comme leurs congénères des villes, car eux, les fureteurs de Clinchamp, ne sont pas mignons du tout !
 
Moi j'aime ces carnassiers à demi-sauvages qui miaulent de faim sous la Lune, se frottent sur les souches en quête de caresses, crachent sur les mains tendues... Ils ont le ventre vide souvent, le coeur plein de fiel envers leurs hôtes distants, et la fierté de leur race des oreilles jusqu'à la queue.
 
Ils se plaisent dans ce décor de siècle périmé, d'horizons brefs et de chemins perdus ! Ils se roulent sous les étoiles, terribles et insoumis, joueurs et féroces, prêts à sauter sur la moindre proie frôlant leurs crocs !
 
Ces petits fauves sont dans leur paradis là-bas, entre joies de leur repas sanguinaires, âpreté de leur condition de vie et beautés des soirs baignés de paix champêtre.
 
Visiteurs, vous serez effrayés par leurs feulements nocturnes et, comme beaucoup, vous les prendrez pour des spectres quadrupèdes... Et sachez que cela ne se passe pas ailleurs au monde que dans ce coin précis que l'on pourrait appeler "nulle part" ou bien "le point culminant de l'inconnu".

Décidément, il se passe de drôles de choses dans cette commune de la Haute-Marne aux apparences si insignifiantes !

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".