28 avril 2023

38 - Je suis un oiseau à Clinchamp

Dès que j'approche de Clinchamp, je sors mes ailes.
 
En venant me plonger dans ce trou, mon âme s'affine, des clartés inédites naissent en moi et je sens le poids d'une autre réalité peser sur mon dos. Ou bien la légèreté d'un jour différent se poser sur mes épaules... Comment savoir exactement ce qui se passe en moi en ces moments si particuliers ?
 
Des astres me tournent autour et m'étourdissent de leur danse lumineuse.
 
Encore un peu dans le vague, j'ignore alors si je suis heureux ou malheureux, mais sous ce ciel lointain de la Haute-Marne, tout s'éclaire progressivement. Et des feux cachés se raniment, trop longtemps enfouis dans mes profondeurs.
 
Je deviens un oiseau grave au plumage sombre, au vol auguste, au regard royal.
 
Et je quitte le plancher des vaches.
 
Je plane au-dessus du village, loin des têtes ternes de ses pesants habitants. Et de ma hauteur je perçois leurs petitesses, leurs misères, leurs piètres agitations aussi... Et je les trouve grotesques, épais, crotteux.
 
Comiques et hideux.
 
Et finalement, soulagé de ne point toucher ce sol où vont et viennent ces bovins, je m'allège davantage. Peu à peu, je suis touché par les éclats d'un bonheur neuf. Je me sais supérieur, je monte, le vertige me gagne, je m'élève toujours plus... Jusqu'à atteindre un premier nuage, au coeur de l'azur.
 
Et là, je vois le clocher dans son ensemble, encerclé de champs. Et je découvre des espaces verdoyants, des bois épars, la nébulosité de l'horizon s'étendant presque à l'infini... Quelle beauté !  Et toutes ces fourmis bipèdes qui y mènent leurs minuscules existences de larves... Quelle laideur !
 
Et moi, plein d'envergure et de flamme, mais aussi de mépris mêlé de pitié pour ces humains lamentables avec leurs vérandas, leurs piscines, leurs nains de jardin, je décide de redescendre de mes nues pour leur enseigner l'ivresse des sommets.
 
Et les rendre moins lourds, plus célestes et plus beaux.
 
Je repose le pied par terre en même temps que je rouvre les yeux. Je me réveille au centre de la localité. Le premier visage que je croise est celui de la mère Michu portant son éternel cabas débordant de poireaux.

Ce qui me confirme que je suis bien à Clinchamp, que jamais rien ne changera en ce lieu béni et qu'en fin de compte, tout est très bien ainsi !

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".