02 février 2023

13 - J'ai dormi dehors à Clinchamp

La tentation de l'amère folie était trop vive : je décidai de passer une nuit à la belle étoile à  Clinchamp.
 
Après avoir pris un bain d'air vespéral bien brumeux et frissonné d'inquiétude dès la fin du crépuscule (crainte non exempte de joie trouble), j'ai disposé ma couche à l'orée d'un bois. Avec vue sur de terreuses étendues, promesses d'ombres passantes, assurance de songes peuplés de vagues épouvantails et d'autres spectres champêtres mal identifiés...
 
Le ciel ce soir-là était un vrai tombeau. Eclairé toutefois de quelques lueurs majeures, à travers deux ou trois trous  éphémères dans les nuages. La nue dense m'adressant ces maigres signes  de vie me parut propice. Avant de se refermer sur un noir sépulcral. Je tombai alors dans une torpeur pleine de fièvre.
 
La longue traversée pouvait commencer.
 
Le voyage s'annonçait brutal et l'aube semblait si loin... Allais-je trouver le graal du campeur, la paix du dormeur, l'ennemi du noctambule et la délivrance de l'insomniaque : le sommeil ?
 
Ici, entre champs et feuillus, vent et ténèbres, au fond de cette campagne obscure, dans ce trou d'ennui, à l'autre bout de mes jours sereins, à la fin de tous les chemins, à la dernière marche du monde, qu'étais-je venu chercher de si impérieux ?
 
Le rêve.
 
Pas l'onirique non. Mais l'autre. Le rare, le vrai, le doux : le poétique.
 
Celui qui est dur comme la pierre, salé comme le sang, plus rouge que le soleil couchant. Celui qui brûle et qui tranche, qui caresse et qui fait mal, qui pétrifie et qui brise, qui glace et qui fait fondre.
 
Même s'il était froid, même s'il était humide, même s'il était effrayant, mortel ou douloureux, je le voulais. Tombé des étoiles ou remonté du sol, enlaidi de fleurs ou hérissé d'épines, aussi âcre que l'humus où je devais dormir ou bien sucré jusqu'à l'écoeurement, je le désirais ici à mes pieds, au bord de cette terre de Clinchamp, au coeur de cet univers désolé et sublime, au centre de mes  plus étranges méditations... Dans l'océan de moi-même, dans ma galaxie intérieure, au creux de mon âme.
 
Et dans cette attente sacrée, dans cet espoir inhumain, dans ces flammes de mon être en proie à tous les tremblements, j'ai vu des choses fabuleuses, inexprimables, mystérieuses...
 
J'avais toujours su confusément que cet endroit de néant apparent recélait des richesses considérables. Je me trouvais là au seuil d'une porte s'ouvrant sur un ailleurs brillant, menant vers des hauteurs insoupçonnées.
 
Etendu sur mon lit de camp, le regard plongé dans le gouffre de ce paysage, j'ai vu défiler toutes les heures de la Création. Cette vérité céleste si bien résumée à travers les éléments bruts, simples et rudes qui m'entouraient, à proximité de ce clocher dérisoire de Haute-Marne...
 
Je n'ai jamais vu arriver l'aurore. Je me suis endormi sans m'en rendre compte entre deux fulgurances, assommé d'ivresse, rassasié de beauté, pour ne me réveiller que juste avant midi.

Sous un azur parsemé de cumulus en robes d'anges.

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".