30 septembre 2023

71 - Les tomates de Clinchamp

A Clinchamp tout ce qui mûrit pâlit.
 
Mais seulement en apparence, précisons-le.
 
Sous l'ambiance d'éternelle apathie dominicale, par la force des choses et contre la volonté des hommes -mais quand même avec la complicité de ses habitants hibernaux aux moeurs de fossiles-, la lumière de ce lieu si particulier finit par s'édulcorer.
 
Et les fièvres estivales se terminent en léthargie d'arrière-saison : dès que des flammes s'allument dans cette cambrousse statique sans heurt ni tambour, des pluies extinctrices les suivent de près.
 
Ainsi dans ce village habitué à ne frémir qu'au son sédatif des cloches de l'église -parfois aux meuglements lourds et familiers des vaches-, les tomates des potagers ternissent-elles aux yeux du visiteur, tant elles apparaissent insignifiantes dans ce décor de somnolence généralisée.
 
Et passent quasiment inaperçues.
 
Comme si sur ce sol pourtant fécond les rouges solanacées étaient finalement devenues, sous les regards des témoins, des ombres surgies du sillon, des sortes d'astres horticoles éteints, des braises refroidies sorties de terre.
 
Manger une salade de ces fruits écarlates en aôut dans ce trou de la Haute-Marne entouré de champs, c'est s'imprégner de l'intérieur de toute la torpeur de cette contrée de dormeurs.
 
Mais c'est surtout s'enivrer de saveurs acidulées aux relents de vieille France enracinée dans ses profondeurs pétrifiées : une aventure gustative et digestive aux effets puissamment narcotiques.
 
Un voyage sur le dos du mortel ennui où le gourmet non averti partira loin, haut, durablement, dans des rêves bucoliques vertigineux.
 
Là bas, aux antipodes du monde des vivants, la belle endormie des jardins semble bien inoffensive, vue de l'extérieur, mollement suspendue à son plant, à attendre l'heure de passer à la casserole...
 
En réalité, sous le ciel assoupi de ce royaume anonyme nommé Clinchamp, ces petits corps charnus et rubiconds sont des végétaux explosifs.
 
De vraies bombes soporifiques.
 
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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".