A Clinchamp tout ce qui mûrit pâlit.
Mais seulement en apparence, précisons-le.
Sous l'ambiance d'éternelle apathie dominicale, par la force des choses et
contre la volonté des hommes -mais quand même avec la complicité de ses
habitants hibernaux aux moeurs de fossiles-, la lumière de ce lieu si
particulier finit par s'édulcorer.
Et les fièvres estivales se terminent en léthargie d'arrière-saison : dès
que des flammes s'allument dans cette cambrousse statique sans heurt ni tambour,
des pluies extinctrices les suivent de près.
Ainsi dans ce village habitué à ne frémir qu'au son sédatif des cloches de
l'église -parfois aux meuglements lourds et familiers des vaches-, les tomates
des potagers ternissent-elles aux yeux du visiteur, tant elles apparaissent
insignifiantes dans ce décor de somnolence généralisée.
Et passent quasiment inaperçues.
Comme si sur ce sol pourtant fécond les rouges solanacées étaient
finalement devenues, sous les regards des témoins, des ombres surgies du sillon,
des sortes d'astres horticoles éteints, des braises refroidies sorties de
terre.
Manger une salade de ces fruits écarlates en aôut dans ce trou de la
Haute-Marne entouré de champs, c'est s'imprégner de l'intérieur de toute la
torpeur de cette contrée de dormeurs.
Mais c'est surtout s'enivrer de saveurs acidulées aux relents de vieille
France enracinée dans ses profondeurs pétrifiées : une aventure gustative et
digestive aux effets puissamment narcotiques.
Un voyage sur le dos du mortel ennui où le gourmet non averti partira loin,
haut, durablement, dans des rêves bucoliques vertigineux.
Là bas, aux antipodes du monde des vivants, la belle endormie des jardins
semble bien inoffensive, vue de l'extérieur, mollement suspendue à son plant, à
attendre l'heure de passer à la casserole...
En réalité, sous le ciel assoupi de ce royaume anonyme nommé Clinchamp, ces
petits corps charnus et rubiconds sont des végétaux explosifs.
De vraies bombes soporifiques.
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