J'ai trouvé ma temporelle félicité : Clinchamp.
Un trou anonyme au milieu de nulle part, un endroit hors de ce siècle, un
décor de bout du monde. Une terre entourée de vide et de vents. Un univers
lointain. Une île au large de tout. Un point invisible.
C'est un parc d'immobilité, un espace isolé, un théâtre de fantômes.
Un jardin de répulsions.
Une sorte de néant sublime. Le sommet de la solitude agreste. L'asile idéal
de tout esthète épris d'horizons sans nom.
Le terme de tous les voyages.
Qui se soucie de cette parcelle de France ignorée ? Sachez que sur notre
globe il reste à découvrir ce minuscule royaume, ce pays perdu, ce lieu inconnu,
ce tableau improbable...
Moi j'y ai rencontré un ciel ataraxique : des nuages de somnolence et l'air
plein de narcose, des vagues de terrestres pesanteurs et des flots de
rassurantes banalités.
Avec, à perte de vue, des champs de léthargie. Rien qu'une mer de vertes
platitudes, un océan de reposante inertie, comme un rêve de lapin apathique. Et
des prairies virgiliennes, des bosquets oubliés, des bois sans prétention. Le
tout constituant un paysage commun, dépouillé, frugal.
Mais vaste, dramatique, admirable pourtant.
L'image d'un absolu à la mesure de mes attentes : simple et authentique. La
source de ma joie âpre. Le refuge de mes pensées envasées dans une mélancolie
terreuse. De délicieux vertiges en moi qui forment, j'en ai conscience, le
quotidien prosaïque des hommes du village aux coeurs ordinaires et aux moeurs
lourdes. Incapables, je crois, d'atteindre ces hauteurs troubles, de concevoir
ces étangs aériens où accède mon esprit. Les habitants du bourg ressemblent à
des loups cachés dans la brume. Sans le savoir, ils font partie de cet olympe
champêtre où je me fonds dans des éblouissements extatiques.
D'ailleurs la seule présence que je croise dans ce coin reculé, c'est
moi-même.
Là bas, j'ai rendez-vous avec l'immensité, l'essentiel, la paix. Entre
l'absence et l'infini, la lumière intérieure et le silence des fossés. Dans
cette contrée sans histoire où nul étranger ne vient jamais s'aventurer, mon
regard plonge dans des étendues sans fin, chargées de torpeur et de
monotonie.
Et mon âme s'envole.
Attirée par les nues que dévoile si bien la plaine sobre, elle parcourt des
sphères grandioses. Et je vogue de cimes en cimes, emporté par une aile
spirituelle.
Subjugué par le Beau, je demeure planté sur le chemin au terne débouché, la
tête dans les altitudes. Au bord de l'incommensurable, entre poussière et
azur.
Les routes parcourant cette campagne d'une autre planète sont étroites,
sauvages, uniquement empruntées par les villageois. Et aux yeux du profane,
elles semblent mener vers la mort. C'est-à-dire vers le rien, la misère des
jours creux, l'ennui d'obscures existences ayant sombré dans un
cul-de-sac.
Mais en réalité ces voies apparemment sans issue emmènent les vrais initiés
en quête d'étoiles pétrifiées, au paradis des éternels dimanches de
province.
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