Certains jours plus sombres que d'autres -ou plus éclatants, cela dépend du
point de vue-, Clinchamp devient le sommet de la pétrification, rien qu'un
espace inerte enseveli sous les neiges mortelles de l'ennui.
On ne voit alors qu'un ciel de pierre et des nuages de plomb. Et une terre
de brumes.
Avec, pour toute fantaisie dans les nues, quelques oiseaux au plumage
pesant. Et plus bas encore, sur le plancher des vaches, des commères lourdes,
des hommes épais animés par des espoirs aussi brefs et ternes que les patates
des champs.
Et puis, brillant accident dans cet abîme de platitude, on aperçoit
également, tel un astre parmi un troupeau de lourdauds, l'esthète que je suis,
observateur de ces destinés sans bruit, de ces drames invisibles et de ces joies
minuscules, de ces histoires sans autre témoin que le temps qui passe.
J'erre, heureux, dans ce coin perdu dont personne à Paris n'a jamais
entendu parler. C'est précisément cela qui m'attire : le dépaysement absolu. Je
jouis de la liberté de celui qui a des ailes, non des bagages. Je viens changer
d'air chez ces ploucs, car leur royaume de torpeur mène à mon olympe
d'ascète.
Les villageois qui me croisent en train de vagabonder à travers les
pâturages du matin au soir me prennent pour un fou. Ils n'imaginent pas que je
puisse méditer sous leur azur borné, le long de leurs chemins bordés de bouses,
entre leurs horizons aux mornes clartés, au fond de leurs bois aux pénombres
infinies. Ils sont loin de concevoir que je plonge avec délices dans leurs
crépuscules de fin de monde, me laisse emporter avec ravissement dans les
ténèbres de leurs dimanches interminables aux heures de marbre et aux soleils de
caveaux.
Ils ne savent pas que je m'enivre du vin noir de leur coeur de bovins, que
je m'allège de leur quotidien d'enclume, que je m'envole très haut quand il
pleut sur leur tête et sur leurs toits, car chez eux j'ai trouvé le trou idéal
à travers lequel je m'évade verticalement ! Là où ils sont, loin de tout, près
de rien, moi je perçois le voyage suprême, le bout de l'Univers, la fuite ultime,
la porte d'entrée vers l'oubli total.
La fin de la route, le début du rêve.
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