30 juillet 2023

59 - Les jours vides de Clinchamp

Certains jours plus sombres que d'autres -ou plus éclatants, cela dépend du point de vue-, Clinchamp devient le sommet de la pétrification, rien qu'un espace inerte enseveli sous les neiges mortelles de l'ennui.
 
On ne voit alors qu'un ciel de pierre et des nuages de plomb. Et une terre de brumes.
 
Avec, pour toute fantaisie dans les nues, quelques oiseaux au plumage pesant. Et plus bas encore, sur le plancher des vaches, des commères lourdes, des hommes épais animés par des espoirs aussi brefs et ternes que les patates des champs.
 
Et puis, brillant accident dans cet abîme de platitude, on aperçoit également, tel un astre parmi un troupeau de lourdauds, l'esthète que je suis, observateur de ces destinés sans bruit, de ces drames invisibles et de ces joies minuscules, de ces histoires sans autre témoin que le temps qui passe.
 
J'erre, heureux, dans ce coin perdu dont personne à Paris n'a jamais entendu parler. C'est précisément cela qui m'attire : le dépaysement absolu. Je jouis de la liberté de celui qui a des ailes, non des bagages. Je viens changer d'air chez ces ploucs, car leur royaume de torpeur mène à mon olympe d'ascète.
 
Les villageois qui me croisent en train de vagabonder à travers les pâturages du matin au soir me prennent pour un fou. Ils n'imaginent pas que je puisse méditer sous leur azur borné, le long de leurs chemins bordés de bouses, entre leurs horizons aux mornes clartés, au fond de leurs bois aux pénombres infinies. Ils sont loin de concevoir que je plonge avec délices dans leurs crépuscules de fin de monde, me laisse emporter avec ravissement dans les ténèbres de leurs dimanches interminables aux heures de marbre et aux soleils de caveaux.
 
Ils ne savent pas que je m'enivre du vin noir de leur coeur de bovins, que je m'allège de leur quotidien d'enclume, que je m'envole très haut quand il pleut sur leur tête et sur leurs toits, car chez eux j'ai trouvé le trou idéal à travers lequel je m'évade verticalement ! Là où ils sont, loin de tout, près de rien, moi je perçois le voyage suprême, le bout de l'Univers, la fuite ultime, la porte d'entrée vers l'oubli total.

La fin de la route, le début du rêve.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".