30 mars 2023

29 - Clinchamp, terre d'envol

Se rendre à Clinchamp est un supplice, une horreur, une déprimante corvée pour les uns. Une délicieuse initiation à la réalité pour les autres.
 
Accepter de descendre dans un gouffre pour mieux escalader la nue est une voie royale à la portée des  éveillés.

Les âmes de qualité voleront vers ce trou à rats, pleines de joie, en quête de plus d'azur, de plus d'esprit, de plus de lumière. Les autres, plus flasques, incolores, moins élevées, resteront à produire des pensées stériles et autres navets d'insignifiance dans leur petit carré de superficialité.
 
Au fond de ce néant de verdure on trouvera certes des bouses de mortelles langueurs, des tas de fumier aussi lourds que des jours de plomb, des mares fangeuses jamais joyeuses, des villageois à faces de bovins, des vaches aux airs de mégères et un paysage aux allures de jardin de cimetière. Mais également un horizon menant vers des nuages de diamants, des crépuscules aux flammes fécondes, des nuits peuplées de spectres brillants, des aubes avec des larmes glorieuses, et puis des clartés ordinaires qui révèlent des vérités enfouies...
 
Sur cette terre aussi plate que ses habitants, on marche dans la merde, s'enlise dans l'inertie, s'inhume sous dix siècles de silence.
 
Mais on y voit l'infini devant soi.
 
Mieux : les pierres y deviennent des plumes. Et les esthètes, des étoiles.
 
Mais évidemment, seuls les êtres supérieurs perçoivent ces sommets essentiels. Les cornichons en sabots du coin, les ânes avec des enclumes aux semelles que sont la plupart des simples quidams sans histoire et les abrutis hyper-connectés de passage avec leurs écouteurs soudés à leurs orteils, ne verront que la modeste hauteur du clocher. Ou  la légèreté supposée de mes mots. Ou même, carrément, ma prétendue folie. Les plus idiots m'appelleront "peintre du rêve" ou "conteur de l'étrange"... Les pragmatiques, qui sont aussi les plus hermétiques, diront que je suis tout banalement "anormal".
 
Ce que ceux-là ne comprennent pas c'est que, tandis qu'ils sont encore sur Terre, bien à leur place dans leur époque, durablement enracinés dans leur chère modernité, bloqués dans leur existence de voyageurs blasés, d'épiciers repus, de volatiles trop pesants pour l'éther, moi je suis déjà arrivé au bout de la route, tout près du ciel.

Derrière les apparences, là-bas à Clinchamp.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".