Le printemps à Clinchamp, c'est l'hiver qui dure, l'ombre qui se prolonge,
la déprime qui s'enlise.
Le retour des beaux jours ressemble, en ces terres condamnées, à la mort
qui persiste et signe l'arrêt de toute vie, à la féconde torpeur qui fait naître
des flots de morne verdure, à l'ennui qui assomme même les oiseaux en plein
vol.
En ces lieux où rien ne se passe, où tout se pétrifie, la léthargie y est
éternelle. Tel un paradis pour vers de terre, pissenlits des champs et cailloux
des fossés...
Mais pour être juste, tout n'est pas si mortel que cela sous ce ciel du
bout du monde : des choses bougent quand même, aussi minuscules que soient ces
histoires de fourmis dans le grand livre des hommes...
Le moindre événement qui puisse survenir en cet asile du néant ne dépasse
jamais la hauteur de quelques herbes folles, d'un piquet de bois ou des oreilles d'un âne, certes.
Mais à chaque fois, à l'échelle de ce clocher reculé, c'est un véritable
tremblement de têtes ! Une tempête d'insignifiances sur un océan de sclérose, un
déluge de fétus de paille sur une population momifiée, un tonnerre de murmures
dans un désert de paroles ! Et le soir dans les demeures claustrées, les
habitants beuglent, braient, caquètent, s'émeuvent jusque tard dans la soirée,
leur soupe toujours aussi fade et tiède qu'à l'habitude mais leur coeur bien
réchauffé par ces dérisoires nouveautés. Ce sont alors d'interminables propos de
vents et de vide devant l'âtre.
Ainsi s'installe la belle saison en cet éden des basses-cours de
bipèdes.
Sous cet azur oublié du reste de l'Univers, les papillons prennent la
couleur du bourdon, la brise vernale est semblable à la paralysie de décembre et
les fleurs qui renaissent n'apportent rien de plus au paysage aussi plat que
gris.
Et c'est là précisément que je trouve la paix. C'est au fond de ce trou
perdu que je vais chercher mon confort de rêveur déconnecté fuyant la fureur des
villes. C'est dans ce gouffre de désespoir champêtre que réside mon bonheur
d'esthète épris de nuages et d'humus, de clarté intérieure et de flamme
poétique.
A Clinchamp, capitale du sommeil provincial, avril sera délicieusement
dormitif.
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