Lorsque je me rends à Clinchamp, je me retrouve sur une terre de nuages,
les pieds posés sur un sol céleste, le regard plongé hors des siècles, loin de
tout, proche des songes.
Ce village perdu dans des espaces sans fin et emporté par tous les vents
est mon pèlerinage onirique, le sommet de mes plus humbles quêtes, le point
culminant de mes jours simples, entre océan de verdure et ciel
éblouissant.
Tout autour de ce maigre bourg, c'est le grand vide : des étendues d'air et
de lumière, un désert rempli d'azur, l'infini à portée de vue.
En cet endroit reculé de la Haute-Marne le paysage et ses demeures forment
un univers clos. Peuplé d’obscurs bipèdes, anonymes humains aspirant à devenir
des petits dieux en sabots. Et pourtant jouets des forces majeures qui les
dépassent... Mais également accessibles aux plus mineures satisfactions de
l’existence.
Ce pays inconnu et lointain est un monde à part, avec ses destins
prévisibles et ses fronts mornes, ses idées ancestrales et ses lois immuables,
ses bois enracinés dans les légendes et ses toits séculaires, ses journées
dominicales et leurs ambiances névrotiques, ses ombres et ses éclats, ses vastes
pluies et ses petites gloires... Une sorte de Cosmos à l'échelle du clocher
culminant vers de vertigineuses platitudes, à la mesure des habitants isolés et
des chemins les menant dans des avenirs de poussière...
L'incarnation d'un passé terne et enterré qui s'attarde dans son trou ou
bien d'un présent radieux qui brille comme un soleil, selon les critères de
chacun...
Le commencement du réel et toutes les richesses de la mort. La source de
l'étonnement et le début de la vie.
Bref, le néant absolu pour les blasés, la joie totale pour les
éveillés.
Mais je sais que là-bas, ce ne sont rien que des profondeurs qui allègent
le coeur des hommes et bercent les oiseaux. C'est le jardin des rêveurs et le
lieu d'ivresse de la gent plumée.
Pour la plupart des visiteurs, on y trouve toutes les raisons de fuir. Pour
les autres, de s'y éterniser. Les premiers ont des lourdeurs dans la tête, les
seconds des ailes.
Dans cette immensité entourant la modeste commune dont vous avez déjà
oublié le nom, volent les esprits, voguent les âmes et se reposent les gens sans
histoire.
Les êtres silencieux ne sont-ils pas les plus heureux ?
Ce sont des voyageurs de l'éther qui, comme moi, habitent dans les hauteurs
sans jamais le dire à voix haute. Ces choses-là, toutes en finesses, ne
s'avouent qu'à mots couverts, tant elles se heurtent à l'incrédulité des
lourdauds.
Sous les nues, en pleine clarté, à l'aube, à midi comme au crépuscule,
étendu dans l'herbe, je contemple la Création dans la paix d'un éternel
dimanche.
Et je ne suis plus qu'une flamme, les yeux dirigés vers des heures bleues
et des horizons purs.
A l'image de cette cité aux apparences anodines dont nul citadin n'a jamais
entendu parler, je crois que le vrai bonheur n'est jamais spectaculaire.
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