01 novembre 2023

75 - Toussaint à Clinchamp

La Toussaint à Clinchamp est le jour le plus fameux de l'année !
 
A cette date fatidique, les oiseaux sont morts, le ciel est chargé de marbre, les nuages tombent, les hommes ruminent et les vaches deviennent des statues.
 
La pluie, irrémédiable, ensevelit le village dans une vague de brume mêlée d'enclumes. Un désespoir palpable se fait sentir, froid comme la pierre, aussi noir qu'un coeur de rat.
 
Les labours, l'espace, les bois, se confondent alors à travers une même allure mortuaire.
 
Tout le paysage se transforme en une sorte de vaste sépulture. L'air se pétrifie, les âmes se liquéfient. Même l'horizon semble n'être plus qu'une fosse pleine d'obscurité où tout sombre, tout gémit, tout meurt.
 
Bref le monde s'effondre là-bas, aux yeux du commun, et aucun habitant des lieux ne trouve le moindre intérêt à sortir sous ces flots d'ombres et de pesanteurs.
 
Sauf que pour moi, c'est l'heure idéale pour me plonger dans cet océan de grisaille propice...
 
Une immensité crépusculaire qui m'enivre et m'emporte, m'allège et m'émeut. Des champs trempés de tristesse, semés de langueurs, alourdis de morosité qui m'ouvrent des voies intimes et me donnent accès à des hauteurs nouvelles...
 
Seuls les esthètes de mon espèce sont heureux dans ce décor ultime.
 
Rien de mieux qu'une nue plombée de mortelle détresse pour déployer mes ailes de corbeau !
 
C'est dans la molle tourmente de ce climat funeste qu'enfin je m'envole, prenant appui sur les pleurs de la saison, porté par les larmes de novembre, soulevé par les soupirs de la terre.
 
Je m'élève toujours plus, poussé par ce vent de sanglots, et une fois parvenu au sommet de cet univers aux apparences de malheur, loin du sol, hors de vue des mortels en sabots, je ne distingue plus qu'une plaine arrosée d'allégresse.
 
J'englobe de mon regard supérieur une campagne déserte, ténébreuse, figée, où sous formes d'intempéries la Création déverse sans mesure sa limpide et rude joie, son ardente flamme, sa féconde gloire.

Autrement dit, sa vraie lumière.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".