La Toussaint à Clinchamp est le jour le plus fameux de l'année !
A cette date fatidique, les oiseaux sont morts, le ciel est chargé de
marbre, les nuages tombent, les hommes ruminent et les vaches deviennent des
statues.
La pluie, irrémédiable, ensevelit le village dans une vague de brume mêlée
d'enclumes. Un désespoir palpable se fait sentir, froid comme la pierre, aussi
noir qu'un coeur de rat.
Les labours, l'espace, les bois, se confondent alors à travers une même
allure mortuaire.
Tout le paysage se transforme en une sorte de vaste sépulture. L'air se
pétrifie, les âmes se liquéfient. Même l'horizon semble n'être plus qu'une fosse
pleine d'obscurité où tout sombre, tout gémit, tout meurt.
Bref le monde s'effondre là-bas, aux yeux du commun, et aucun habitant des
lieux ne trouve le moindre intérêt à sortir sous ces flots d'ombres et de
pesanteurs.
Sauf que pour moi, c'est l'heure idéale pour me plonger dans cet océan de
grisaille propice...
Une immensité crépusculaire qui m'enivre et m'emporte, m'allège et m'émeut.
Des champs trempés de tristesse, semés de langueurs, alourdis de morosité qui
m'ouvrent des voies intimes et me donnent accès à des hauteurs
nouvelles...
Seuls les esthètes de mon espèce sont heureux dans ce décor ultime.
Rien de mieux qu'une nue plombée de mortelle détresse pour déployer mes
ailes de corbeau !
C'est dans la molle tourmente de ce climat funeste qu'enfin je m'envole,
prenant appui sur les pleurs de la saison, porté par les larmes de novembre,
soulevé par les soupirs de la terre.
Je m'élève toujours plus, poussé par ce vent de sanglots, et une fois
parvenu au sommet de cet univers aux apparences de malheur, loin du sol, hors de
vue des mortels en sabots, je ne distingue plus qu'une plaine arrosée
d'allégresse.
J'englobe de mon regard supérieur une campagne déserte, ténébreuse, figée,
où sous formes d'intempéries la Création déverse sans mesure sa limpide et rude
joie, son ardente flamme, sa féconde gloire.
Autrement dit, sa vraie lumière.
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