26 janvier 2024

87 - Un homme heureux à Clinchamp

A Clinchamp végète sur sa minuscule propriété un homme simple nommé Emile, peu connu du reste des habitants du village.
 
Avec ses allures d'oiseau rare, de joyeux épouvantail, de jardinier d'un autre monde, il cultive sa différence.
 
Reclus dans son potager, bien isolé dans son coin, épargné par le fracas de ce siècle, il est heureux d'être ignoré de tous.
 
Une modeste haie le sépare de la société des connectés, des citadins bien vêtus et des écrans de toutes sortes... Là, bien caché dans son refuge horticole, il passe ses jours à observer les saisons, à contempler les nuages, à regarder pousser salades, carottes, patates et fleurs.
 
Et à attendre que sa petite terre récompense ses efforts.
 
Son humble toit qu'il ne quitte quasiment jamais lui sert de château fort contre les agressions de la modernité. Véritable rempart de pierre et de légendes, antre obscur hors de nos standards de confort et de nos normes esthétiques, sa maison recèle des trésors anachroniques et poussiéreux qui n'ont de sens et de valeur que dans la pénombre paisible où ils respirent encore comme de vivantes reliques d'un passé oublié...
 
De vieilles choses ancestrales, sans prix, dérisoires et sublimes... Tels que : balai à brindilles, chandelles usées, chaises en paille, cruches à eau, horloge au cadran noirci, vastes corbeilles d'osier accrochées aux murs nus, chapelets d'ail suspendus aux poutres, tas de fagots et amas de bûches de bois entreposés à même le sol battu... Une atmosphère chaleureuse et surannée se dégage de ce foyer paysan d'un âge révolu.
 
Bref, ce rescapé de notre temps vit chez lui à l'ancienne, sans électricité ni eau courante. Pas malheureux du tout, bien au contraire. Comblé par son existence loin des villes, il ne cherche qu'à demeurer dans son royaume de sobriété et de silence. Il savoure son exil social, conscient d'être un privilégié se tenant en retrait des incessantes et stériles agitations humaines. Proche de l'âtre et du sillon, il est à l'écoute du vent, des arbres, de la faune.
 
La flamme de la cheminée, sa seule source source de lumière avec ses bougies, lui suffit pour accompagner ses longues soirées solitaires. Sous cette pâle clarté autour de laquelle tournent des papillons de nuit, il prend un repas rustique puis veille en rêvant, satisfait de ses oeuvres maraîchères.
 
La nuit, il sort parfois de son trou pour aller vagabonder sur les chemins à travers la campagne endormie, la semelle crottée de bouse de vaches et la tête dans les étoiles. Il vogue alors dans le mystère des heures nocturnes de cette contrée comme dans un espace infini.
 
Et retrouve son lit après deux heures d'un véritable voyage dans les ténèbres, cueillant pour cette journée qui s'achève la dernière tige de ce bouquet de bonheur à portée de main.

Cette félicité qui l'attend chaque matin juste au seuil de sa porte, exactement sous le ciel de Clinchamp !

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".