05 septembre 2023

68 - Le simplet de Clinchamp

Autrefois à Clinchamp vivait un aimable benêt  au coeur tendre et aux vues simples.
 
Seuls comptaient pour lui la douceur des sentiments, l'éclat des fleurs et les sourires de ses semblables.
 
Il ne percevait ni le mal du monde ni la laideur des choses. A ses yeux ses jours sans malice passés sur Terre lui apparaissaient invariablement beaux et les hommes qui l'entouraient universellement bons.
 
Au-dessus de sa tête le ciel était fatalement peuplé d'hôtes ailés. Et les nuages représentaient nécessairement les plumes des anges. De cela il ne doutait pas !
 
Le simplet de ce village, que tous considéraient comme un éternel enfant, parlait de choses inconcevables, racontait ses visions merveilleuses, tentait de convaincre les incrédules de la réalité de ses voyages intérieurs extraordinaires, de la hauteur de ses rêves palpables, de la qualité de ses rencontres avec des êtres quasi célestes.
 
Bien sûr, on l'écoutait avec amusement, indifférence, voire ennui.
 
Nul n'accordait, au fond de ce trou de la Haute-Marne, la moindre importance aux propos de cet innocent. On le voyait arpenter les chemins, parcourir la plaine, s'égarer dans les bois tout en se concertant avec les herbes folles, les vaches, les arbres et les oiseaux. Et même quelques épouvantails.
 
Il allait et venait du matin au soir à travers la campagne, toujours joyeux, ahuri, infatigable, en quête de vent, de chimère, d'infini peut-être, entraîné par sa douce folie.
 
Plus personne ne prêtait attention à ses divagations, il faisait partie du paysage.
 
Il vécut ainsi très longtemps dans la commune qu'il ne quitta d'ailleurs jamais. Tout au long de sa riche existence, il connut d'incroyables aventures au sein de ce clocher perdu, même si aucun habitant ne crut une fois à ses affirmations.
 
A sa mort on ne fit guère de bruit autour de sa dépouille. Ce fut une journée comme les autres, là-bas à Clinchamp : mortellement léthargique.

Sauf que ce que nul ne sut et n'aurait osé croire, c'est que cet esprit hors-sol qui semblait générer tant de sornettes depuis près d'un siècle (il mourut presque centenaire), incarna en réalité dans l'ignorance générale toute la légèreté, la lumière et l'intelligence de ceux qui sur cette planète ont préféré voir l'immensité des petites choses à portée d'âme plutôt que le néant des vacuités s'étalant sous les sabots des lourdauds !

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".