03 février 2023

14 - Escale à Clinchamp

Au cours d'un voyage d'affaire de haut vol, las d'avoir trop longuement tenu le volant de ma berline, je dus faire une halte hygiénique à Clinchamp, localité de la Haute-Marne dénuée de commerces, d'esprit, de charme.
 
Et, visiblement, de tout intérêt.
 
Je garai mon véhicule au pied de l'église et partis m'oxygéner hors du village. Je ne croisai nul porteur de sabots sur mon chemin. Tant mieux ! Je n'avais guère envie de devoir échanger des propos d'usage, lamentables et insignifiants, sur la météorologie ou la prétendue beauté de cette contrée anonyme avec un bouseux du patelin mal dégrossi ou bien une commère arriérée en mal de bavardage...
 
J'avais besoin de me dégourdir les jambes, de m'aérer la tête, non de m'enraciner dans la torpeur intellectuelle de ces villageois, si j'en jugeais par leurs masures grossières, les jouets d'enfants brisés traînant sur les pelouses et les nains de jardin montant leur garde ridicule  dans quelques cours pompeuses. Sans parler des odeurs douteuses de leur cuisine...
 
Après deux kilomètres de marche, j'arrivai dans la plaine, au milieu des champs. Là, je me rendis compte de la distance incroyable que je venais de parcourir, en un temps record, entre mon monde citadin huppé, artificiel et pédant, et cette nature brute, rude, authentique. Et même un peu sombre. Je me retrouvai soudain comme au coeur de l'Univers. Tout près du ciel qui venait de se manifester au-dessus de moi. De manière magistrale, je prenais conscience de sa présence de plomb à cet instant même.
 
En effet, dans cette banale cambrousse au décor insipide, pour ne pas dire franchement terne, décevant, les éléments naturels qui m'entouraient et que j'estimais être soit des petits riens, soit de grands néants, se montraient à moi dans leur vérité.
 
Et elle était grandiose !
 
En réalité, les petits bosquets d'allure humble, les buissons épars le long des fossés, les pierres dans les labours, l'horizon morne, tout cela brillait à mes yeux d'une lumière inexprimable. En quelques pas seulement, allant du bourg à ce lieu que j'appellerais "nulle part", mon regard venait de changer radicalement.
 
L'espace en cet endroit devenait quasi céleste : les nuages me faisaient des signes riches de sens, je sentais que les bois au loin regorgeaient d'une sève de jouvence, chaque brin d'herbe portait une flamme minuscule et l'ensemble émettait une grande prière... Et de toutes ces entités je recevais des flots de feu et d'amour !
 
Cette commune à l'aspect parfaitement anodin, prosaïque, fade, recélait un secret. Mais seulement accessible aux âmes supérieures, apparemment... Idéalement située entre je ne sais quel infini et quel invisible, cette terre élue semblait montrer des prodiges aux éveillés, faire naître en eux des éclats sacrés.
 
Peut-être que Clinchamp, sous son écorce épaisse, derrière son masque misérable, au-delà de ses airs pleins de lourdeurs, consistait en un sommet donnant sur un ailleurs fabuleux, et que le destin m'avait suggéré de m'y arrêter afin de goûter aux fruits les plus divins de la Création...
 
J'achevai ma promenade sur ces pensées et retournai vers mon automobile, encore abasourdi par cette expérience intime que je considérais comme ma plus belle aventure spirituelle.

Avant de reprendre ma route et de me diriger vers une vie nouvelle.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".