Au cours d'un voyage d'affaire de haut vol, las d'avoir trop longuement
tenu le volant de ma berline, je dus faire une halte hygiénique à Clinchamp,
localité de la Haute-Marne dénuée de commerces, d'esprit, de charme.
Et, visiblement, de tout intérêt.
Je garai mon véhicule au pied de l'église et partis m'oxygéner hors du
village. Je ne croisai nul porteur de sabots sur mon chemin. Tant mieux ! Je
n'avais guère envie de devoir échanger des propos d'usage, lamentables et
insignifiants, sur la météorologie ou la prétendue beauté de cette contrée
anonyme avec un bouseux du patelin mal dégrossi ou bien une commère arriérée en
mal de bavardage...
J'avais besoin de me dégourdir les jambes, de m'aérer la tête, non de
m'enraciner dans la torpeur intellectuelle de ces villageois, si j'en jugeais
par leurs masures grossières, les jouets d'enfants brisés traînant sur les
pelouses et les nains de jardin montant leur garde ridicule dans quelques cours
pompeuses. Sans parler des odeurs douteuses de leur cuisine...
Après deux kilomètres de marche, j'arrivai dans la plaine, au milieu des
champs. Là, je me rendis compte de la distance incroyable que je venais de
parcourir, en un temps record, entre mon monde citadin huppé, artificiel et
pédant, et cette nature brute, rude, authentique. Et même un peu sombre. Je me
retrouvai soudain comme au coeur de l'Univers. Tout près du ciel qui venait de
se manifester au-dessus de moi. De manière magistrale, je prenais conscience de
sa présence de plomb à cet instant même.
En effet, dans cette banale cambrousse au décor insipide, pour ne pas dire
franchement terne, décevant, les éléments naturels qui m'entouraient et que
j'estimais être soit des petits riens, soit de grands néants, se montraient à
moi dans leur vérité.
Et elle était grandiose !
En réalité, les petits bosquets d'allure humble, les buissons épars le long
des fossés, les pierres dans les labours, l'horizon morne, tout cela brillait à
mes yeux d'une lumière inexprimable. En quelques pas seulement, allant du bourg
à ce lieu que j'appellerais "nulle part", mon regard venait de changer
radicalement.
L'espace en cet endroit devenait quasi céleste : les nuages me faisaient
des signes riches de sens, je sentais que les bois au loin regorgeaient d'une
sève de jouvence, chaque brin d'herbe portait une flamme minuscule et l'ensemble
émettait une grande prière... Et de toutes ces entités je recevais des flots de
feu et d'amour !
Cette commune à l'aspect parfaitement anodin, prosaïque, fade, recélait un
secret. Mais seulement accessible aux âmes supérieures, apparemment...
Idéalement située entre je ne sais quel infini et quel invisible, cette terre
élue semblait montrer des prodiges aux éveillés, faire naître en eux des éclats
sacrés.
Peut-être que Clinchamp, sous son écorce épaisse, derrière son masque
misérable, au-delà de ses airs pleins de lourdeurs, consistait en un sommet
donnant sur un ailleurs fabuleux, et que le destin m'avait suggéré de m'y
arrêter afin de goûter aux fruits les plus divins de la Création...
J'achevai ma promenade sur ces pensées et retournai vers mon automobile,
encore abasourdi par cette expérience intime que je considérais comme ma plus
belle aventure spirituelle.
Avant de reprendre ma route et de me diriger vers une vie nouvelle.
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