20 juillet 2023

57 - Sale temps à Clinchamp

C'est jour de grisaille à Clinchamp.
 
C'est surtout l'heure de se lamenter, le temps de pleurer.
 
Les espaces sont immenses dans les champs, mais aussi dans les coeurs. Les premiers y reçoivent des averses de pluies, les seconds des océans de sanglots.
 
Dans ces moments funèbres, le ciel est plein de pensées sombres et les hommes débordent de larmes.
 
L'horizon n'en finit pas de sombrer, emporté dans une torpeur sans fond, débouchant sur des brumes sans issue.
 
Alors le mortel ennui s'installe sur ces terres comme dans les âmes.
 
Tout se tait, tout stagne, tout gît.
 
Et plus rien ne se passe dans ce morne cimetière de vaches ruminantes et de bipèdes placides.
 
Et moi, réjoui par ce séduisant naufrage, charmé par cette misère esthétique, aussi heureux qu'un canard au centre de sa mare dans ce décor de cauchemar, je fais de ce triste royaume un beau rêve à la mesure de ma sensibilité de sybarite morbide.
 
Et je vagabonde à travers ce pays désolé, mon pied glissant sur la boue et ma tête s’envolant dans les nuages. Et je trouve de fulgurantes beautés aux choses éteintes, aux faces crépusculaires, aux journées effondrées, aux paysages exsangues et aux ambiances désespérantes...
 
Sous cet orage d'apathie, d'ombres et de résignations, je fleuris tel un chardon, abreuvé d'images pleines de lourdeurs fécondes.
 
La bouse odorante devient promesse de lendemains égaux, de vie invariable, d'inertie paisible. Le chemin creux continue de mener vers un sempiternel trou de léthargie. La plaine lasse ne cesse de gémir.
 
Et au sommet de ce deuil généralisé, le clocher domine cet univers de platitudes, aussi terne qu'un dimanche sans soleil.
 
Je l'observe, curieux, attentif, fébrile, car il est sur le point de réveiller les morts.
 
Les aiguilles de son horloge indiquent dix-neuf-heures cinquante neuf minutes. Dans moins de soixante secondes je serai fixé.
 
Vingt fois la cloche martèle l'infini de sa voix métallique.
 
Mais pas un habitant ne bronche. Aucun de ces enterrés ne se relève. Aucune bête à cornes ne réagit.

Je suis le seul à jouir de ce théâtre cosmique à hauteur des pâquerettes.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".