01 février 2023

6 - Un trou dans le ciel

En mars là-bas la glèbe est noire.

Comme dans n'importe quel bourbier de sous-préfecture en cette saison de hallebardes, certes. Mais bien davantage dans cette campagne d'enterrés qu'ailleurs, car il y a, en plus, le poids de la boue.

Et la légèreté du ciel en moins.
 
Les spécialités du coin, ce sont ses misères : l'ombre de l'horizon, l'insignifiance des bois, la banalité des jours sans éclat, la torpeur des chemins qui mènent à des destins de deuil.

Et à des espoirs de néant.
 
Avec, dans les brumes, ainsi qu'une vallée de pleurs, des foyers comme des tombeaux.
 
Mornes maisons habitées par des morts-vivants malheureux de vivre, heureux de mourir.
 
Notons l'odeur de cave se dégageant des demi-animaux bipèdes qui peuplent ce trou d'inertie... Et les stigmates de l'ennui sur leurs faces de défunts. Ils naissent sans fracas ni artifice, aiment leur cabot ou leur âne, puis trépassent en sourdine dans une mare d'immobilisme ancestral où s'enfoncent allègrement leurs semelles crottées.
 
Et pataugent gaiement les canards.
 
Relevons encore l'épaisseur des trognes qui s'accorde si parfaitement avec l'enclume des soupirs.
 
Clinchamp est un paradis de sublimes platitudes où se retirer, loin des tapages du monde, afin d'y gémir en paix de l'aube au crépuscule, le regard dirigé vers des nuages aussi pesants que des nappes de plomb.
 
Et fermer les yeux la nuit pour mieux fuir les naufrages de la journée.
 
L'esthète vient y pleurer de bonheur morbide. C'est le décor idéal pour y déverser ses flots choisis de regrets. Et se noyer dans une mélancolie au goût de miel. Comme dans une mer d'huile et de silence, sans faire de vagues. En compagnie d'oiseaux déplumés et de rats glorieux.
 
En ces lieux sans histoire le présent est une pure absence de vie, le passé un ossuaire d'heures perdues, le futur un rêve déjà inhumé.
 
C'est au fond de ce jardin d'oubli, entouré de ces espaces innommés, dans le ventre de cet ogre malingre, au sein de ce brouillard momifiant que je souhaite m'éterniser.

Pour me faire dévorer par la gueule céleste.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".