16 mars 2023

23 - Les fantômes de Clinchamp

Séjournant depuis un mois à Clinchamp et insidieusement emporté dans ses mortelles profondeurs d'immobilisme, mais également dans ses paradoxales hauteurs oniriques, je prenais conscience jour après jour de la présence de mystérieuses entités autour de moi...
 
Je sentais la flamme invisible de ces intrus.
 
Tant dans les airs que dans les eaux, aussi bien au ras du sol qu'infiltrés dans la flore, au-dessus des arbres mouvants comme derrière les éléments plus figés, filant entre les herbes folles ou bien posés sur tel élément minéral...
 
Mais qui étaient donc ces hôtes impalpables peuplant la campagne environnante de ce village perdu ? A quel phénomène étrange étais-je confronté ? A qui avais-je affaire ? D'ailleurs, étais-je le seul à percevoir ces "drôles d'oiseaux" se mêlant aux hommes, bois, champs et vaches sévèrement enracinés dans ce monde reclus ?
 
Ces lieux champêtres oubliés du siècle recélaient manifestement un grand secret.
 
Je n'osais parler de mes impressions aux autres habitants. Après tout, s'il y avait eu des manifestations inexpliquées ici, j'en aurais entendu parler. A quoi bon prendre le risque de passer pour un "original" parmi ces rustiques ? Je soupçonnais chez eux une vue aussi brève que la hauteur de leur clocher, à en juger par leurs apparences, leurs moeurs, leurs propos. Les villageois me semblaient somme toute bien trop limités pour appréhender de tels faits, ou plus exactement, de tels ressentis... Je crois que l'état de leurs pelouses carrées, les apéros au bistrot ou la rutilance de leurs nains de jardin formaient leurs préoccupations prioritaires.
 
Bref, je gardai le silence.
 
Je pense que la finesse verticale de mon esprit ainsi que ma sensibilité de fol esthète agissaient tels des philtres : je devais bien être l'unique témoin de ces prodiges...
 
Aussi, intrigué, assoiffé de lumières nouvelles, je décidai d'aller m'isoler en pleine nuit au milieu de ces terres hantées, pour rencontrer frontalement, directement cette réalité. Ou ce rêve.
 
Et là je fis la plus grande découverte qui soit en ces circonstances.
 
Une révélation à laquelle les riverains de la commune ne pouvaient définitivement pas accéder, car trop proche de leurs pieds et donc trop éloignée de leurs pensées...
 
Ces fantômes m'avaient dévoilé leur vraie nature. A moi exclusivement, rien qu'à moi.

Comme des âmes volantes, des ailes de feu, des souffles essentiels, ces formes immatérielles personnifiaient, en ce désert rural totalement à l'écart du reste de la civilisation citadine, les plus vives émanations de la plus pure Poésie.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".