Les chutes de neige à Clinhamp annoncent toujours des fêtes lugubres dans
les têtes, des enchantements sépulcraux sur la plaine, des charmes morbides dans
l'air...
Le grand théâtre de la mort s'installe alors mollement sur ce monde de
deuil pour le blanchir d'un interminable et pétrifiant cauchemar poétique.
Tout devient grave et sublime, solennel et mystérieux, austère et
somnambulique.
Les flocons apportent une ombre supplémentaire au paysage. Et le jour
devient une nuit éclatante.
La nappe nivéenne qui s'étend à perte de vue fait sombrer l'horizon dans un
néant de clarté. Et on ne sait plus où l'on est : au sommet d'une terre ou dans
un gouffre céleste, à l'entrée d'un nouveau vertige ou au bout d'un long voyage,
au seuil d'un infini ou au bord d'un sommeil ultime...
En haut d'une autre réalité ou bien au fond d'un vieux rêve ?
Le temps est figé dans l'inertie, le gel, le silence : il n'y a plus de
frontière entre le présent et l'éternité.
Dans ce village étrange dont le nom sonne si bien avec "champs", la nature
prend un visage fantasmagorique sous janvier.
La poudreuse y fait briller la campagne de son sourire mortel et
beau.
Et les hommes cachés dans leurs trous, là-bas, effrayés par ce spectre de
glace qui les étreint toute une saison, deviennent des boules de froid qui
n'attendent que le dégel, n'espèrent que la caresse tiède et flasque d'avril.
Tandis que les esthètes de mon espèce demeurent des âmes de feu couvertes de
givre et pleines de joie !
Chaque année l'intempérie hivernale est accueillie tel un messager des
pompes funèbres par les habitants de Clinchamp.
Mais pour les initiés comme moi sensibles aux causes éthéréennes, elle a
les allures festives et légères d'un printemps de pierre, porteuse d'une flamme
d'âpre douceur et de polaire beauté.
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