21 décembre 2023

81 - Tristesse et beauté de Clinchamp

La plaine mortelle, morne et froide qui s'étend face à moi m'inspire des sentiments de vieux corbeau, des ivresses de vagabond de l'azur, des vertiges de rêveur des bois...
 
A Clinchamp je me sens si seul, si loin de tout, si proche de moi-même, que je m'apparente à un ermite.
 
Fou et heureux.
 
Au milieu de rien, plongé dans ces immensités d'ombres et de labours qui n'attirent que des fantômes, des oiseaux égarés et des rats solitaires, je suis aussi léger que la brume, démesuré comme les nuages... Alors mon regard embrasse terres et nues et mes ailes, vastes et immatérielles, se confondent avec l'horizon.
 
Je deviens un géant dans la grisaille, un aigle au-dessus du paysage en deuil, une âme dans des sommets de mélancolie.
 
Ailleurs qu'en ce monde où se traînent des destins anonymes, hors des platitudes de ces mortels en sabots qui vivent avec placidité, plus bas, dans le village inerte, terne, crotté.
 
Physiquement je ressemble à un fétu de paille au coeur de l'océan et demeure quasi invisible aux autres hommes. Tandis qu'aux yeux du ciel, j'apparais telle une présence gigantesque dans les airs.
 
Je suis un traverseur de siècles, une vague dans l'espace, un voyageur de l'infini.
 
A Clinchamp, dérisoire clocher d'une cambrousse perdue, minuscule point d'insignifiance sur le globe et pourtant puits d'insondable mystère dès qu'on y pose la semelle, et c'est là mon plus doux secret, je trouve chaussure à mon pied, mesure à mon pas, hauteur à mon vol.

Là bas, contrairement à ce que montrent les abords les plus triviaux, il n'y a pas de fin, car, pourvu que l'on sache où regarder, quelle porte ouvrir et où aller, tout prend alors des allures définitivement oniriques.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".