12 avril 2023

31 - Pluie à Clinchamp

Dans les profondeurs de Clinchamp, il pleut comme partout ailleurs.
 
Sauf que là-bas, rien n'est jamais pareil que le reste du monde.
 
Lorsque la pluie tombe dans ce royaume mi-fabuleux mi-désenchanté, terne et doré, aussi boueux que merveilleux, alors le quotidien se fracasse pour laisser place à des pierres rares, à des têtes précieuses, à des ombres lumineuses !
 
C'est là que vient le miracle : le jour le plus ordinaire brille comme un astre, le crépuscule devient aube radieuse et le soir s'installe sous de grises trombes d'eau mêlées de vagues splendeurs...
 
Les hommes en ce sommet vespéral s'apaisent, s'allègent, s'affinent et se transforment en rêves vivants qui entrent lentement dans la nuit comme s'ils étaient des roches douées de flammes floues. Ou des papillons nocturnes aux ailes de plomb et aux idées flamboyantes. Ou bien des oiseaux porteurs de feux nouveaux prenant leur essor vers de glorieux naufrages célestes.
 
C'est l'heure où des lueurs volent dans les nues, où des esprits planent au-dessus des toits, où des visages apparaissent au fond des fossés. Le moment où des regards s'allument derrière les bosquets, où des lèvres sèment des mots troubles dans les herbes folles. Le point crucial où des fenêtres s'ouvrent depuis le sol et que des étincelles de chair en sortent...
 
L'occasion fatidique où le réel rencontre l'impalpable.
 
Et moi, après minuit, je vois une silhouette s'approcher. Et je parle de la vie et de la mort, de la fortune et de la misère, de l'amour et de la solitude avec je ne sais quel hibou silencieux vêtu de mystère, et puis je m'éloigne de cette apparition de plume ou de brume, je ne sais pas, haletant, perplexe, exalté.
 
Et heureux, peut-être...
 
En cet endroit de la Haute-Marne décidément plein de surprises et paradoxalement centre de toutes les platitudes, au détour d'un chemin pluvieux on y côtoie l'impossible. Dans ce village peuplé de gens aussi lourds que ce siècle de basses certitudes, entre ses terres secrètes et ses gouffres familiers, ses ténèbres éclatantes et son ciel hermétique, ses bois banals et son horizon noir, parfois on y croise des diamants inquiétants et fascinants au coeur de la tourmente, mais également de séduisantes grimaces issues de nuages aux songes étranges.
 
Avec ses airs champêtres enlisés dans l'oubli et son azur chargé de fumier, cet univers de mares et de vaches est éblouissant en vérité, car l'averse lui confère des allures de mythologie de clocher, d'olympe de cambrousse, d'empyrée du sabot.

En ce lieu pas comme les autres, l'onde y féconde l'obscurité pour y faire naître la lumière.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".