24 mai 2023

46 - Les joies de Clinchamp

Si vous avez l'humeur d'un rat crevé, le coeur d'un corbeau lugubre ou l'âme d'un loup solitaire, venez vous ressourcer à Clinchamp !
 
Dans ce repaire de tout ce qui pleure et vole, se lamente et rêve, gît et s'enflamme, une joie spéciale jaillit de l'ombre et monte jusqu'à l'azur !
 
En cette terre élue mille sources de légèretés abreuveront vos têtes ténébreuses, éclaireront vos pensées noires, changeront vos lourdeurs de plomb en ailes d'or.
 
Sous ses dehors tombals, le village est en réalité le royaume des célestes ivresses ! Là les ploucs y sont heureux sans le savoir, les vaches prennent de la hauteur et les oiseaux se mêlent aux astres. Et les sabots de tous ces bouseux et de toutes ces bêtes meuglantes qui cheminent vers l'ennui ou bien tournent en rond, résonnent comme autant de cloches de cristal dans un ciel d'espoir.
 
Oui, sous les habits plébéiens, derrière les fronts grossiers, au-dessus des cornes épaisses, loin des pesanteurs horizontales, autour de ce clocher de la Haute-Marne un miracle permanent transforme les misères de notre siècle en pures beautés. Cette alchimie s'opère, en ce lieu précis, en vertu de la situation idéale dans laquelle se trouve cette commune perdue. En effet, les esprits fins constatent que de cette campagne aussi mortelle qu'un trou à sépultures émane paradoxalement une lumière particulière.
 
Cette clarté proviendrait de l'essentielle sobriété de cet endroit figé dans sa sclérose.
 
Ce ne sont ni les artifices ni les opulences qui confèrent leur splendeur aux déserts, font briller les caves, embellissent les ruines, mais les plus humbles choses, les moindres insignifiances, n'importe quelle brise de banalité.
 
C'est exactement ce qui se passe dans ce microcosme champêtre avantageusement placé entre l'étable à bovins et l'infini cosmique, comme né de la rencontre improbable des navets et des nuages ou du mariage subtil entre les cailloux du dimanche et la brume des jours de pluie.
 
Bref, en ce point propice de nulle part, renaissent les sèves mortes du monde. Les citadins écoeurés de leur luxe, blasés de leur lustre, lassés de leur lucre, auront de quoi s'oxygéner avec l'air des champs semés de patates et d'étoiles.
 
Au contact des vérités les plus simples, tout ce qui est de marbre se fait chair.

Là-bas, les plantes sèches redeviennent des herbes folles prêtes à fertiliser le néant.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".