A Clinchamp vit un esprit égaré.
C'est une femme d'une quarantaine d'années qui, tout de blanc vêtue, erre
du matin au soir à travers les plaines et les champs encerclant le village, en
quête de rêves plus lointains que l'horizon.
Elle va et vient entre la chaleur de son foyer et les glaces de la
déraison.
Quand elle sort de chez elle, c'est à chaque fois pour entreprendre un
nouveau voyage local aux confins de sa folie.
Et l'aventure de sa journée commence au seuil de sa porte. Pour finir
tantôt dans les limbes d'un crépuscule de brouillard, tantôt dans la poussière
d'un sentier perdu, à deux kilomètres de là. Ou juste à cent mètres.
Elle part à la rencontre d'on ne sait quelle chimère de poil ou de plume.
Ou alors, peut-être poursuit-elle d'insaisissables ombres que seul perçoit son
oeil dérangé ? A moins qu'elle ne s'ingénie à essayer de décrocher des astres
imaginaires logés au fond de ses pensées déréglées... Nul ne peut véritablement
dire ce qu'elle cherche.
On l'appelle tout banalement "la folle du pays".
Les habitants du coin la voient souvent courir dans la campagne, franchir
les fossés, tourner en rond autour d'une cause invisible, s'éloigner vers des
destinations connues exclusivement des eaux profondes de son cerveau
troublé...
Ou disparaître dans les hautes herbes pour ressurgir plusieurs heures après
aux abords d'une mare, un peu plus loin.
D'autres fois, ils la croisent sur les petites routes de la commune, le
regard absent, le pas erratique, l'air impassible. Elle marche ainsi sans but en
adressant d'incompréhensibles murmures aux oiseaux. Jusqu'à ce que la fatigue la
ramène dans son lit.
En ses jours les plus légers, elle tente inlassablement de rejoindre les
nuages comme si elle avait des ailes, empreinte des chemins mornes qui la mènent
vers des mirages radieux, s'évade dans les bois sombres pour y trouver de la
lumière...
Par temps de pluie elle parle à d'impalpables présences en bénissant le
ciel, trempée mais heureuse. Parfois, elle chante et danse à moitié à l'abri
sous les feuillages de quelque arbre isolé, tout en caressant le tronc...
Bref, l'illuminée est considérée comme une pauvre délirante dans ce clocher
nommé Clinchamp.
On la plaint ou bien on se moque d'elle.
Mais ce que personne n'imagine, c'est que la démente en réalité est dévorée
par le feu de la poésie.
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