18 avril 2023

34 - La folle de Clinchamp

A Clinchamp vit un esprit égaré.
 
C'est une femme d'une quarantaine d'années qui, tout de blanc vêtue, erre du matin au soir à travers les plaines et les champs encerclant le village, en quête de rêves plus lointains que l'horizon.
 
Elle va et vient entre la chaleur de son foyer et les glaces de la déraison.
 
Quand elle sort de chez elle, c'est à chaque fois pour entreprendre un nouveau voyage local aux confins de sa folie.
 
Et l'aventure de sa journée commence au seuil de sa porte. Pour finir tantôt dans les limbes d'un crépuscule de brouillard, tantôt dans la poussière d'un sentier perdu, à deux kilomètres de là. Ou juste à cent mètres.
 
Elle part à la rencontre d'on ne sait quelle chimère de poil ou de plume. Ou alors, peut-être poursuit-elle d'insaisissables ombres que seul perçoit son oeil dérangé ? A moins qu'elle ne s'ingénie à essayer de décrocher des astres imaginaires logés au fond de ses pensées déréglées... Nul ne peut véritablement dire ce qu'elle cherche.
 
On l'appelle tout banalement "la folle du pays".
 
Les habitants du coin la voient souvent courir dans la campagne, franchir les fossés, tourner en rond autour d'une cause invisible, s'éloigner vers des destinations connues exclusivement des eaux profondes de son cerveau troublé...
 
Ou disparaître dans les hautes herbes pour ressurgir plusieurs heures après aux abords d'une mare, un peu plus loin.
 
D'autres fois, ils la croisent sur les petites routes de la commune, le regard absent, le pas erratique, l'air impassible. Elle marche ainsi sans but en adressant d'incompréhensibles murmures aux oiseaux. Jusqu'à ce que la fatigue la ramène dans son lit.
 
En ses jours les plus légers, elle tente inlassablement de rejoindre les nuages comme si elle avait des ailes, empreinte des chemins mornes qui la mènent vers des mirages radieux, s'évade dans les bois sombres pour y trouver de la lumière...
 
Par temps de pluie elle parle à d'impalpables présences en bénissant le ciel, trempée mais heureuse. Parfois, elle chante et danse à moitié à l'abri sous les feuillages de quelque arbre isolé, tout en caressant le tronc...
 
Bref, l'illuminée est considérée comme une pauvre délirante dans ce clocher nommé Clinchamp.
 
On la plaint ou bien on se moque d'elle.

Mais ce que personne n'imagine, c'est que la démente en réalité est dévorée par le feu de la poésie.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".