02 juillet 2023

54 - Les hivers de Clinchamp

En hiver Clinchamp devient lumineux.
 
La neige qui tombe dans ce lieu improbable de la Haute-Marne, mortelle et belle, afflige les oisillons et réjouit les loups.
 
Elle tue les frileux et revigore les aguerris, blesse ceux qui tremblent dans leur tanière et fait briller ceux qui l'affrontent la gueule ouverte. Elle gifle les faibles et caresse les survivants.
 
Il faut dire qu'autour de ce village anodin et pourtant pas comme les autres, le froid y est tranchant, sec et sans pitié. Il coupe le souffle aux rats comme aux hommes et les sépare encore plus du reste du monde. Dans ce néant de blancheur, de silence et de platitude, tout se fige alors comme une seule pierre monolithique qui se dresserait au sommet d'une immensité calme, claire, sans vie.
 
Et là, comme par l'effet d'un prodige spécifique à cet endroit précis du globe où jamais rien ne se passe ni ne se fait entendre, la banalité se transmute en sublime.
 
Mais seuls les coeurs sensibles peuvent ressentir cette merveille, percevoir cette clarté supérieure, accéder à ces hauteurs invisibles. Les autres, bêtement, lourdement, prosaïquement, n'y verront que les misères de décembre.
 
Par le simple fait qu'il soit enneigé, ce royaume sans histoire aux apparences monotones s'isole rapidement jusqu'à ne plus du tout exister pour qui n'y met pas les pieds. Et s'éloigne vers on ne sait quel étrange infini... Les distances avec la civilisation semblent s'allonger de manière disproportionnée à mesure que les jours s'écoulent et que le givre et le gel recouvrent champs et toits. La commune ensevelie sous la poudreuse finit par disparaître des cartes, des mémoires, de l'Univers.
 
Pour renaître au sommet d'un ciel poétique situé hors des normes de ce temps, dans une fulgurance de beautés mêlées de mystère.
 
Mais toujours avec la dureté des éléments naturels, la férocité des lois vitales, la douleur potentielle de tout ce qui est lié à la joie véritable. Le Cosmos se célèbre dans sa totalité. Y compris les cadavres congelés des victimes tombées du nid.
 
Ce clocher a des secrets qui se découvrent de l'intérieur. Entre rêves enflammés et gelées immaculées.
 
Par-delà les frontières bien étroites de cette campagne obscure, faites de bois épars et de vagues chemins, de buissons insignifiants et de coins sans nom, d'autres portes s'ouvrent. Et la vue des éveillés qui se trouvent en cette terre reculée s'élargit également.
 
Bref, ce que les étrangers ne savent pas, c'est qu'à la saison hivernale ce trou perdu s'engouffre dans une voie royale, verticale, vertigineuse.

Et prend la direction lointaine de l'onirisme.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".