15 avril 2023

32 - La Dame Blanche de Clinchamp

La Dame Blanche de Clinchamp est toute noire.
 
Elle a pris la couleur de l'ennui des jours et de la boue des champs.
 
Et apparaît surtout aux heures creuses du temps qui se fige, vide et mortel. Ce qui est la norme en ce pays  de vaches et de néant où la platitude règne jusqu'au sommet de toutes choses.
 
On peut la croiser facilement au détour d'un tas de purin ou d'un puits de spleen, entre matin de grisaille et crépuscule de brume : elle est là, qui attend l'oiseau terne aux plumes de plomb.
 
Avec sa face décevante de vieille péquenaude, elle n'effraie véritablement que le citadin élégamment chaussé. Et encore, uniquement pour des raisons de style.
 
Elle va et vient entre trou d'inertie et impasse champêtre, en quête de vent léthargique, de rêves dominicaux et de rats monotones.
 
Bref, elle crève de torpeur.
 
Ce spectre des chemins de cambrousse est une ombre soporifique, une enclume de lassitude, un épouvantail insipide.
 
Une face de charbon.
 
Un navet dormitif. Une fumée aussi insignifiante qu'une pierre. Une présence quasi absente.
 
Les rencontres avec cette molle apparition sont sans surprise. L'entité mystérieuse de Clinchamp manque singulièrement de personnalité ! Passagère du quotidien le plus morne, la pauvre errante ne sait que traverser inutilement les bois, traîner dans la plaine ou bien rester plantée comme une cruche au bord des fossés à attendre bêtement que l'éternité passe.
 
Quel légume elle fait !
 
Lorsque pour votre prochaine salade vous irez cueillir des pissenlits en ce royaume de l'immobilisme, un conseil : évitez de parler à cette folle.
 
Même si curieux, intrigué, incrédule en l'apercevant avec son regard dans le vague, son habit de nuit et ses pesanteurs de matrone endormie, vous brûlez de l'interroger... Vous irez au-devant de sacrées désillusions !
 
Certes, vous pourrez toujours la saluer.

Mais cela ne vous mènera nulle part, car fondamentalement, elle n'a rien à dire !

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".