27 mars 2023

27 - Face cachée de Clinchamp

Décidément, il s'en passe des choses dans ce trou prétendu sans intérêt qu'est Clinchamp !
 
Rien normalement ne devrait advenir de notable là-bas, si ce n'est l'écoulement silencieux et anodin des jours incolores qui s'allument sans faire d'histoire pour s'éteindre aussitôt dans l'oubli de lendemains tout aussi flasques. Les légumes enracinés en cette terre perdue n'en ont pas fini de bouillir dans leurs sabots...
 
Les habitants, en effet, un tantinet bourrus, n'ont pas l'air d'avoir parfaitement conscience de l'incroyable trésor que recèlent les herbes folles s'agitant sous leur ciel. Qu'ils le croient ou non, leur humble commune est le siège de tous les trafics féériques entre azur et bosquets, commerces lutinesques des sous-bois, intrigues vagabondesques des chemins et autres affaires oniriques de haute volée.
 
Là, sous leurs pieds de balourds, se trament de subtiles réalités de premier ordre. Trop occupés  à regarder leurs télévisions, si chèrement attachés à leurs pesanteurs, infiniment éloignés de ces hauteurs qui dépassent leur quotidien d'épiciers et de gardes-vaches, ils ne soupçonnent rien de ces phénomènes qui enflamment secrètement les nuits de leur village.
 
Evidemment, ce que vous allez lire ne sont pas des événements rapportés par les journaux. Rien d'officiel ici, certes. Cela dit, je vous assure que tout est très sérieusement issu des messes basses entendues sous les dernières clartés vespérales. Des vérités incontestables colportées par les murmures du crépuscule, les clameurs des nuages, les rumeurs des fossés et les paroles du vent.
 
Autant dire, des petites musiques du soir à ne pas mettre sous tous les chapeaux... Et surtout pas entre ces oreilles insensibilisées, sempiternellement chaussées d'écouteurs de smartphones, et qui n'entendent plus rien des échos de la vie fantasmagorique... Non, ces sérénades-là s'adressent prioritairement aux initiés qui ne portent nulle oeillère. Ni la moindre prothèse technologique interférant sur leur ciboulot.
 
Figurez-vous qu'aux alentours de minuit et jusqu'à l'aube, dans les champs et à l'orée de la sylve, des rats, des mulots, des chouettes et des lièvres se concertent sous les étoiles. Et y font naître des feux comme des rêves, des lueurs qui ressemblent à des mirages nocturnes, de pâles lumières ainsi que des chandelles. Echappés tous vivants des fables de la Fontaine ou bien créatures sidérales surgies des constellations, à moins que ce ne soient des allégories mythologiques directement tombées de la Lune, ces entités fantastiques hantent les prés et les mares, les routes et les pâtures de Clinchamp endormi...
 
Elles souhaitent, dit-on, se montrer aux yeux de qui veut bien les voir. Tout en se cachant des autres.
 
Tout simplement pour, en cette cambrousse de la Haute-Marne sensée être loin des écrans portatifs pleins de vacuité de notre monde moderne, y faire briller leur fulgurante incarnation.

C'est-à-dire, faire triompher la cause poétique suprême.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".