30 avril 2023

41 - Les crépuscules de Clinchamp

A Clinchamp, le soir constitue un véritable défi pour l'esprit sensible.
 
C'est un choc entre la pierre et l'azur, le sol et l'éther, le trou et l'infini.
 
C'est l'espace choisi et inquiétant où l'éveillé se confronte à de nouveaux critères esthétiques, l'endroit idéal où l'âme supérieure s'expose à l'étrangeté des éléments. La rare occasion d'un face-à-face soit glacial, soit brûlant entre l'homme de goût et l'improbable peinture du hasard.
 
Bref, la rencontre à la fois trouble et fulgurante entre le mortel et l'inconnu.
 
Près de la mare et du fossé, à l'orée du bois et au bout des chemins, hors des agitations futiles de ce siècle, de grandes choses s'opèrent. A l'abri des regards profanes. Seuls les habitants du bourg, ainsi que les visiteurs, peuvent potentiellement accéder à ces réalités alternatives.
 
En ce lieu unique au monde les crépuscules y apparaissent, en effet, pareils à des spectres célestes aux visages chargés de pénombre. Des images irréelles, aussi belles que funèbres, d'un royaume lointain aux étendues abyssales, aux horizons vertigineux, aux promesses oniriques.
 
Et aux charmes souterrains.
 
Autant de raisons de fuir ce village de poussière et d'ennui. Ou de s'enfoncer plus profondément encore dans l'éclatante obscurité de ce gouffre champêtre.
 
Là-bas, lorsque sonne l'heure vespérale, tout s'éteint. Ou s'allume.
 
La nue est pleine de flammes sépulcrales, de clartés austères et d'ombres pétrifiantes, et la plaine éclairée par cette vaste tristesse se transforme en un paisible cimetière. Et le moindre sommet -tel que clocher, arbre isolé ou simple piquet- devient alors un point crucial au centre de ce paysage mortuaire.
 
Puis vient la nuit qui met fin à cette radieuse agonie. Le spectacle s'achève comme une délivrance et tout s'évanouit dans les ténèbres.

Les dormeurs au sommeil d'enclume se laissent bercer jusqu'à l'aube par ces feux suprêmes en les emportant dans leurs rêves de bovins pour en faire de fades salades de lueurs nocturnes, tandis que le souvenir de ces fantômes de brumes et de plomb hante plus durablement les âmes subtiles des insomniaques épris de hauteur, de mystère et de beauté.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".