Après avoir passé quatre saisons d'uniforme grisaille à Clinchamp, je me
suis enraciné corps et âme dans cette terre d'âpre vérité, aussi éclatante qu'un
ciel de giboulées, et n'ai aujourd'hui plus nulle envie de polluer mon esprit
avec ces couleurs frelatées que produisent si facilement les villes avides de
superflus.
Je reviens d'une année d'un bonheur sans nuages ! Ou plutôt, débordante de
pluies et fracassante de paix mortelle. Douze mois d'exil, de solitude,
d'essentiel. Une année d'absence de tout ce dont je n'ai pas besoin... A
commencer par l'artifice des quotidiens encombrés d'inutilités.
Là-bas, seul comptait pour moi le jour présent.
C'est-à-dire pour résumer, du matin jusqu'au soir, mes semelles crottées,
mes pieds à tenir bien au sec et tout le reste... Je veux parler de ces choses
vitales qu'il y avait dans ma tête.
En effet, durant ces journées interminables j'ai arpenté en profondeur
comme en travers chaque lieu typique, chaque chemin antipathique, chaque coin
apathique.
J'y ai rencontré la misère de mon ombre, la sécheresse des cailloux qui
n'ont rien à dire, l'humidité des bois et la ruine du temps qui passe, sans
cesse, sans but, sans espoir de lendemains différents.
Mais précisément, c'est ce que je cherchais depuis toujours :
l'éblouissement par le vide.
Toute ma béatitude était là : dans l'habitude de ces platitudes.
Telles sont mes altitudes.
Mon truc à moi, c'est l'aptitude à la gratitude jusque dans les moindres
particules de la vie.
Au milieu des champs mornes, au coeur de cette plaine d'ennui, au long de
cette retraite terne, je n'ai fait que rêver d'azur glorieux et d'aubes
lumineuses. En appréciant comme autant de mets précieux ce qui m'en
séparait.
J'y ai vécu mes plus délicieuses heures perdues.
Trois-cent-soixante-cinq fois de suite je me suis réveillé sans suite dans
les idées sous le soleil endormi de cette localité de la Haute-Marne.
Mais avec, sous la pâleur de ma peau, plein de lumière intérieure.
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