Jeune, fougueux, idéaliste, je m'évadai de ma routine avec la volonté
d'aller me perdre ailleurs, follement, dans un autre monde, aussi loin que
possible, ivre de découvertes, assoiffé de ciels nouveaux, de paysages
tourmentés et de visages lumineux.
J'échouai finalement à Clinchamp.
Je venais de quitter un univers de certitudes aussi limpides que
rassurantes pour entrer dans un mystère sans vernis ni dentelles. Un trou terne
avec ses terreurs terreuses et ses champêtres tempêtes. Une terre obscure,
lourde, austère, tel un interminable crépuscule d'hiver.
J'y croisai des faces fermées aux regards de bovins, des champs ouverts sur
un azur infini, des portes donnant sur des rêves sombres, des gouffres de
mélancolie sans fin... Mais aussi des hommes comme des bêtes et des vaches
pleines de légèretés. Des paysans alourdis de sabots et leur bétail doté
d'ailes... En cette contrée brumale j'ai encore vu des pierres aux profils de
vivants, des chemins empruntés par des ombres, des bois aux allures d'oniriques
royaumes, des herbes bercées par un vent spectral, des fleurs pâles aux éclats
lunaires, des pluies fécondant des sillons chargés de désespoir, des aubes de
boue et des nuits de légendes... Bref, des vagues de tristesse et des flots de
joie sous une même nue.
Une atmosphère peuplée de cauchemars à portée de vue mêlés d'étoiles
étincelantes.
Rien que des séductions troubles entre épines et amertume, brumes et
averses, brise vernale et mortel silence.
Un vaste cimetière pour oiseaux posés sur leur branche et bipèdes figés
dans leurs habitudes, en somme. Mais aussi, paradoxalement, une véritable
volière pour esprits tout en plumes, comme moi, et autres anges de haut vol
égarés en si basse altitude.
Depuis que j’ai découvert ce cul-de-sac cosmique, effrayé et séduit, j’y
suis reparti autant de fois que j’y suis retourné. Et aujourd’hui j’y demeure
pour y voir se lever le soleil de la mort.
Cette campagne de la Haute-Marne est le paradis humble, humide et ténébreux
des fous communs et des âmes brillantes. C'est le jardin nuageux des élus
emportés par le souffle des hauteurs, l'olympe rustique des éveillés échappés de
ce siècle.
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