07 mars 2023

18 - Clinchamp, mon dernier refuge

Jeune, fougueux, idéaliste, je m'évadai de ma routine avec la volonté d'aller me perdre ailleurs, follement, dans un autre monde, aussi loin que possible, ivre de découvertes, assoiffé de ciels nouveaux, de paysages tourmentés et de visages lumineux.
 
J'échouai finalement à Clinchamp.
 
Je venais de quitter un univers de certitudes aussi limpides que rassurantes pour entrer dans un mystère sans vernis ni dentelles. Un trou terne avec ses terreurs terreuses et ses champêtres tempêtes. Une terre obscure, lourde, austère, tel un interminable crépuscule d'hiver.
 
J'y croisai des faces fermées aux regards de bovins, des champs ouverts sur un azur infini, des portes donnant sur des rêves sombres, des gouffres de mélancolie sans fin... Mais aussi des hommes comme des bêtes et des vaches pleines de légèretés. Des paysans alourdis de sabots et leur bétail doté d'ailes... En cette contrée brumale j'ai encore vu des pierres aux profils de vivants, des chemins empruntés par des ombres, des bois aux allures d'oniriques royaumes, des herbes bercées par un vent spectral, des fleurs pâles aux éclats lunaires, des pluies fécondant des sillons chargés de désespoir, des aubes de boue et des nuits de légendes... Bref, des vagues de tristesse et des flots de joie sous une même nue.
 
Une atmosphère peuplée de cauchemars à portée de vue mêlés d'étoiles étincelantes.
 
Rien que des séductions troubles entre épines et amertume, brumes et averses, brise vernale et mortel silence.
 
Un vaste cimetière pour oiseaux posés sur leur branche et bipèdes figés dans leurs habitudes, en somme. Mais aussi, paradoxalement, une véritable volière pour esprits tout en plumes, comme moi, et autres anges de haut vol égarés en si basse altitude.
 
Depuis que j’ai découvert ce cul-de-sac cosmique, effrayé et séduit, j’y suis reparti autant de fois que j’y suis retourné. Et aujourd’hui j’y demeure pour y voir se lever le soleil de la mort.

Cette campagne de la Haute-Marne est le paradis humble, humide et ténébreux des fous communs et des âmes brillantes. C'est le jardin nuageux des élus emportés par le souffle des hauteurs, l'olympe rustique des éveillés échappés de ce siècle.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".