Tous deux ont trouvé refuge à Clinchamp, il y a de cela plus de quatre-vingt ans.
Leur folie de jeunesse consistant alors en la réclusion à perpétuité dans cet asile perdu, aussi gris que verdoyant et semé de fleurs rustiques à la hauteur de leurs rêves simples.
Ils se sont aussitôt enracinés dans ce village.
Jusqu'à devenir deux vieux chardons desséchés.
Venus sombrer volontairement en ce point mort du monde élu par leurs coeurs d'ermites et très vite parvenus au sommet du silence et de l'oubli, leur cloître campagnard a pris progressivement des allures de nécropole champêtre.
Autour d'eux, l'immobilisme s'est instauré comme un cocon.
Pas une fois l'idée de quitter leur paradis d'inertie n'a effleuré leur esprit figé dans un autre siècle. Pétrifiés par des habitudes d'incurables sédentaires, la question ne s'est nullement posée pour eux d'aller s'encroûter ailleurs que dans ce trou immuable.
Leur bonheur statique leur a toujours suffit.
Aujourd'hui quasi centenaires, ils ne regrettent rien, au contraire. Ils tiennent farouchement à mourir juste à côté de leur potager où désormais ils courbent vertigineusement le dos en direction de leurs salades, patates et pissenlits, aspirent à se fondre définitivement avec les labours dans le lointain, veulent continuer jusqu'au bout à regarder par leur fenêtre les aubes claires, les tempêtes de l'automne et les crépuscules enténébrés de mélancolie.
Oui, à deux doigts de la tombe, ils aiment de plus en plus cette plaine mortelle et cet horizon peuplé d'ailes sombres qui éclairent désormais leurs regards !
Bref, ils sont amoureusement enchaînés à leur bagne sans borne, sorte de prison qui rime avec évasion.
Et vivent leurs derniers jours dans l'espoir que plus jamais rien d'autre ne se passe, que tout s'éternise, que tout recommence pareil pour que la fin ressemble à s'y méprendre au début.
En attendant de s'envoler un peu plus haut, un peu plus loin que leur sol inébranlable de corbeaux solitaires.
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