10 mars 2023

20 - Voir Clinchamp et sourire

Vous l'étranger qui découvrez Clinchamp, ne vous attendez à rien d'humainement concevable. Quittez vos habitudes feutrées, reconsidérez vos pires préjugés ou abandonnez vos plus chères illusions.
 
Ce clocher en éternel repos au milieu des champs en définitive pétrification sera votre ciel ou bien votre gouffre.
 
Si vous venez en cette contrée mystérieuse, quasi invisible sur les cartes tant elle est insignifiante aux yeux de tous, sachez que le reste de l'Univers vous oubliera.
 
Plus personne ne saura où vous êtes. Là, au centre du néant, vous deviendrez un anonyme parmi des cailloux. Un fantôme comme un autre. Une présence égale à ces piquets plantés dans le rien, condamnés à mourir au bord des chemins. Votre face fatiguée rasera les pâquerettes de l'ennui et ne dépassera en aucun cas la hauteur congrue du cul des vaches, tandis que votre tête débordera d'humus. Votre âme vous semblera pareille à une pierre et vos pensées, soyez-en certain, prendront les teintes ternes d'un conforme sépulcre.
 
Vous vous engagerez alors dans un voyage statique qui n'aura jamais de terme. Vous sonderez une galaxie d'ombres à la vitesse infiniment lente de vos pas embourbés dans un terroir de plomb, loin de toute lumière.
 
Pourtant vous verrez des astres briller au fond de cette vaste tombe. En effet, sous le voile des grisailles, platitudes et autres pesanteurs du quotidien, quelques rêves s'élèvent en cette terre. Vous vous y croirez perdu. Mais en vérité elle est riche des vrais trésors de ce monde : les plus humbles. Derrière le cauchemar des apparences, visiteur qui n'avez pas encore fui ce lieu, vous serez ébloui par des flammes insoupçonnées.
 
Même si au début vous vous sentirez semblable au rat crevé au fond de son fossé de désespoir, bien vite vous entreverrez des sommets à conquérir. Vos pieds plongeront certes dans la boue mais votre front, fatalement, se tournera vers le haut.
 
Coincé entre l'absence et l'immensité, entre le vide et l'azur, entre le sol et l'air, vous regarderez vers l'horizon. Puis vers les nuages. Enfin, vers les étoiles !
 
Ce royaume de sempiternels dimanches peuplé de bovins couronnés de morosité est un trou qui donne sur l'essentiel.

Le mortel attentif qui s'aventurera en ce point crucial de nulle part y poussera la porte la plus secrète de son destin.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".