17 novembre 2023

76 - Le brouillard de Clinchamp

Lorsque le brouillard recouvre Clinchamp et l’obscurcit, l’effet est comparable au Soleil qui resplendit sur Paris, faisant rentrer ses rats dans les caniveaux, roucouler ses pigeons sur les quais, sortir ses habitants dans les jardins.
 
A l'image de Paname qui s'embellit à la belle saison, quand l'onde spectrale se répand dès octobre dans cette cambrousse refroidie, ses misères se dissipent, ses plus modestes abords prennent soudain de grands airs, ses petitesses deviennent des causes majeures et là seulement son visage glorieux se révèle, ses sommets faisant oublier ses platitudes.
 
Sauf que dans ce coin perdu les légèretés qui éclairent les âmes sont profondément hivernales, durablement austères, durement réalistes et non pas passagèrement printanières, vaguement romantiques ou sottement commerciales, comme dans la capitale.
 
Bref, ici plus qu'ailleurs, la brume transfigure le village.
 
Elle lui donne des allures augustes, des aspects graves, des élégances mortuaires. Et ajoute également des idées folles aux matins glacés qui font frémir les toiles d'araignée dans les ronces et brûler d'amour les grenouilles au fond de leurs mares !
 
Dans ce repli de la Haute-Marne rien n'est décidément pareil que dans le reste du monde : les fumées de la terre forment des haillons d'argent pour offrir des habits de rêve aux fantômes et des robes de mariées aux épouvantails. Les nappes d'ombre qui brillent dans ce trou de la France l'illuminent totalement. On a même entendu dire, d'après les anciens, que dans ce clocher méconnu la vaste humidité enflammerait le ciel d'un firmament de chimères et qu'à travers d'éphémères arabesques de grisaille les traits des morts apparaîtraient furtivement au-dessus des toits...

C'est pourquoi, paraît-il, les automnes embués de Clinchamp seraient hantés par autant de rafraîchissantes tristesses que d'ardents esprits.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".