15 mars 2023

22 - Les pissenlits de Clinchamp

A Clinchamp le pissenlit est rare, triste, maigre, et semble n'être dans cette île déserte que pour refléter le plomb du ciel et faire d'inutiles signes aux oiseaux morts qui y logent.
 
Cette fleur rustique apparaît même comme un intrus dans ce décor de fermeture de tous les chemins, au terminus de l'Univers...
 
Cependant j'aime sa présence dérisoire, au coeur de cette immensité sans nom, sans espoir, sans avenir, peuplée de gens simples et sans histoire qui n'ont nullement conscience de leur mortel paradis.
 
Un monde parfaitement dénué d'attraits enchanteurs, immensément loin de notre siècle de sons amplifiés et de couleurs artificielles certes, mais plein de poésie sombre. Un mets amer et mélancolique pour les esthètes aux ailes noires de mon espèce.
 
Ou pour les rats des champs de haut vol qui me ressemblent.
 
Bref, dans ce jardin de lourdeur, telle une nécropole verdoyante, je respire l'air pur d'un authentique bonheur fait d'âpreté et de dépouillement.
 
Les menus et humbles visages jaunes qui parsèment cette campagne sans relief sont des images inattendues. Des petites flammes sorties d'une terre d'inertie où jamais rien d'autre de notable ne se passe. Ces modestes apparitions issues du sol, quasi invisibles, incarnent la misère apparente des minuscules vies végétales généralement ignorées du bipède civilisé. Leur insignifiance fait leur prix à mes yeux. Je les regarde comme des miracles nés du néant.
 
Sous le poids de ces lieux que maudit le citadin, méprise le sophistiqué, raille le parisien, elles resplendissent à travers mon regard sélectif avec d'autant plus de finesse et de gloire, ainsi que des étoiles mornes dans une nuit de brume.

Pour toutes ces raisons, à la fraîche saison de mars, entre rêve et folie, je pars à la rencontre de ces précieuses perles d'or perdues dans les limbes de Clinchamp pour m'enivrer de leur pâle beauté.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".