09 août 2023

61 - Les rêves de Clinchamp

A Clinchamp, les rêves des villageois sont brefs, lourds, pragmatiques.
 
Là-bas, au centre des préoccupations agricoles, on espère des récoltes fabuleuses, des jours plats et des nuits creuses.
 
Les tempêtes d'artifices des dimanches festifs et les tambours des coeurs en joie, c'est bien beau mais ce n'est guère rentable. Aussi mauvais pour la paix des hommes que pour la pérennité du sillon. Une pure perte de temps, un vrai gaspillage d'énergie et des dépenses bien futiles ! Ce n'est pas en dansant dans les champs qu'on les fait germer mais en s'y échinant du matin au soir !
 
Bref, il faut attendre de la population locale peu de pensées et beaucoup d'actes. Il en va de l'avenir économique de cette contrée ensevelie dans l'indifférence générale. Les habitants de ce village enfoui sous les ronces de l'ennui ne sont pas des rigolos mais des adeptes du boulot. Pas des rêveurs mais des trimeurs. Pas des poètes mais des réalistes avec les pieds bien enfoncés dans le concret.
 
Certes il s'en passe des choses dans ce trou du fin fond de la Haute-Marne, derrière le voile trompeur du quotidien... Et de belles encore ! Sauf que les hôtes de ces terres ternes ont l'esprit trop éloigné de toutes ces merveilles pour les voir, collé à leurs sabots pour le dire en vérité. Les gens de ce pays oublié, engloutis dans les brumes des journées ordinaires, disparus dans des horizons sans nom, rendus invisibles à force de se fondre avec les platitudes de la vie, sont pourtant proches de ces légèretés pleines d'éclat.
 
On ne regarde pas en l'air dans ce coin perdu de la province de l'est de la France, on s'attarde plutôt lourdement sur ce qui se passe au niveau du strict plancher des vaches ! N'importe ! Les esthètes égarés en ces lieux sont contents quand même. Que les bovins et les humains les ignorent ou non, les beautés du ciel brillent néanmoins au-dessus de leurs museaux. Et c'est cela qui compte aux yeux des observateurs avisés : sentir le subtil azur sous les plus grossières allures, percevoir des fines étoiles sous les trognes les plus brutes, découvrir du bleu là où l'on ne trouve au premier abord que du fumier aux vapeurs triviales.

C'est précisément cela qui m'enchante dans ce royaume aux mille pesanteurs : même les fumées sombres et malodorantes qui en sortent sont, comme de vagues songes de l'aube, teintées de clartés célestes.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".