24 avril 2023

36 - Les papillons de Clinchamp

Lorsque je suis à Clinchamp, je vois des papillons partout.
 
A travers la mélancolie des champs, dans l'azur de mes rêves, la noirceur du ciel ou la lumière des fossés, dans le vent de mes pensées légères ou dans le feu des herbes folles, dans l'ombre des jours ternes ou dans l'éclat des heures enflammées.
 
Sauf que dans ce village peuplé d'enclumes où rien n'est censé voler, ces lépidoptères sont différents. Ils sortent de la cendre et rasent le brouillard, se perdent dans des chemins de mort et se réveillent sous la caresse glacée de la pluie.
 
Pour s'évaporer de bonheur en plein soleil.
 
Leurs ailes les portent à mi-hauteur du clocher, guère plus haut certes, cependant là-bas ils voyagent dans un univers aussi fantastique que statique. Ils y font un glorieux sur-place entre la pesanteur d'un vaste tapis d'humus semé de pissenlits et l'immense obscurité de l'horizon. Une aventure éphémère et fulgurante partant d'un éblouissant royaume floral et finissant dans les vertiges des odeurs de fumier et effluves de vaches.
 
Telles des bulles d'éther, ils apparaissent et montent, tournent et brillent... Vont et viennent du sol jusqu'aux cimes se présentant à leur portée, nez du paysan : chapeau de l'épouvantail, branche de pommier ou bien piquet de quelque pâture. Tourbillonnent une dernière fois puis disparaissent dans la nébulosité aérienne.
 
Et moi, captivé par ce minuscule théâtre des airs, témoin de ce miracle infime et tout à la fois conscient de me trouver au centre de nulle part, au point zéro des destinations touristiques, au coeur du dérisoire, dans le trou de tous les oublis, je me sais paradoxalement au sommet ultime de mon parcours poétique.

Je deviens ce précieux fétu de paille parmi les petites fées volantes de Clinchamp.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".