Lorsque je suis à Clinchamp, je vois des papillons partout.
A travers la mélancolie des champs, dans l'azur de mes rêves, la noirceur
du ciel ou la lumière des fossés, dans le vent de mes pensées légères ou dans le
feu des herbes folles, dans l'ombre des jours ternes ou dans l'éclat des heures
enflammées.
Sauf que dans ce village peuplé d'enclumes où rien n'est censé voler, ces
lépidoptères sont différents. Ils sortent de la cendre et rasent le brouillard,
se perdent dans des chemins de mort et se réveillent sous la caresse glacée de
la pluie.
Pour s'évaporer de bonheur en plein soleil.
Leurs ailes les portent à mi-hauteur du clocher, guère plus haut certes,
cependant là-bas ils voyagent dans un univers aussi fantastique que statique.
Ils y font un glorieux sur-place entre la pesanteur d'un vaste tapis d'humus
semé de pissenlits et l'immense obscurité de l'horizon. Une aventure éphémère et
fulgurante partant d'un éblouissant royaume floral et finissant dans les
vertiges des odeurs de fumier et effluves de vaches.
Telles des bulles d'éther, ils apparaissent et montent, tournent et
brillent... Vont et viennent du sol jusqu'aux cimes se présentant à leur portée,
nez du paysan : chapeau de l'épouvantail, branche de pommier ou bien piquet de
quelque pâture. Tourbillonnent une dernière fois puis disparaissent dans la
nébulosité aérienne.
Et moi, captivé par ce minuscule théâtre des airs, témoin de ce miracle
infime et tout à la fois conscient de me trouver au centre de nulle part, au
point zéro des destinations touristiques, au coeur du dérisoire, dans le trou de
tous les oublis, je me sais paradoxalement au sommet ultime de mon parcours
poétique.
Je deviens ce précieux fétu de paille parmi les petites fées volantes de
Clinchamp.
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