10 août 2023

63 - Les cloches de Clinchamp

A Clinchamp les cloches sont bien banales, tant par leur aspect que par leurs effets, voire quasi invisibles bien qu'elles s'activent invariablement à chaque heure qui passe.
 
Mais lorsqu'elles sonnent ainsi, mine de rien, parfois elles réveillent de vieilles figures du passé, quelques morts oubliés dans le cimetière et deux ou trois fantômes qui se sont attardés ici et là entre rêves crépusculaires et légendes recouvertes par les ronces des siècles.
 
Ordinairement les flammes de l'airain ne font résonner nulle tête, laissent indifférents hommes et vaches, n'effraient pas même les moineaux du clocher. Mais à de rares exceptions, elles embrasent le ciel, illuminent les espaces déserts du village, donnent un sens nouveau aux chemins sans issue, font naître des sommets insoupçonnés au-dessus du paysage plat, font entendre une voix supérieure aux âmes attentives.
 
Elles envoient dans l'azur des appels joyeux à tous les oiseaux, et des anges leurs répondent. Elles répandent à travers plaines et champs un bonheur d'éther, dans la nue des flots de légèreté, et l'on peut alors percevoir le chant d'un vent intérieur dans les herbes folles. Elles diffusent une paix céleste jusqu'au fond des bois et reçoivent en retour un écho plein d'enchantement.
 
En ces moments aussi éphémères que miraculeux, les lèvres de l'église émettent leur son de métal et les éléments de la terre tout autour, jusqu'aux plus hautes nues, leur rendent grâce sous forme de prière, chacun à sa manière.
 
C'est là que se manifestent les présences endormies que stimulent les palpitations sacrées du pieux édifice.

A qui prête une oreille secrète, un oeil pénétrant en ces minutes choisies, se manifesteront ces intrus surgis -ne me demandez pas d'où exactement, je n'en sais rien- des plus mystérieux recoins de Clinchamp.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".