26 février 2024

89 - Un jour ordinaire à Clinchamp

En ce jour pareil aux autres dans ce sommet de toutes les monotonies nommé "Clinchamp", le Soleil brille par son effacement et la brume surnage triomphalement au-dessus des hommes plongés dans leurs rêves fatalement plus moroses qu'ailleurs.
 
Bienvenue au centre de la Terre ! C'est-à-dire, tout à la fois nulle part dans le monde connu et au centre de n'importe quel désert.
 
Il faut dire que ce village gisant en toutes saisons sous les pieds terreux de la Haute-Marne n'attire l'oeil de nul pigeon voyageur, fût-il chassé des feux bruyants du lointain Paris et même du proche Chaumont... En effet, personne n'a jamais eu l'idée de venir régner dans cet empire de vaches perdues et de sabots retrouvés.
 
Atterrir ici et y demeurer revient à rejoindre volontairement les statues de plâtre et les cloches fêlées. C'est comme avoir une enclume dans l'aile ou bien du plomb dans la plume et cesser de désirer voler plus haut que son ombre.
 
A moins, et c'est exactement le cas des oiseaux de prix qui me ressemblent, de cacher des idées éclatantes derrière la tête pour les faire fructifier hors des fracas du siècle. Choisir de faire germer ses idéaux en ce lieu précis, cela signifie préférer s'orienter vers le Nord poétique plutôt que vers celui, plus borné, des boussoles.
 
Au pôle il n'y a qu'une impasse, tandis qu'ici, on découvre l'infini imaginaire jusque derrière le cul des bovins.
 
Mais qui n'est pas armé pour l'éther, les hauteurs, la vie solitaire, les vents et aventures aux antipodes des villes, ne peut accepter de s'enterrer dans ce ciel loin du présent et de ses balises visibles.
 
Ce trou ultime consiste en un dépassement de soi. Seuls les corbeaux d'envergure s'y plaisent. Ces âmes supérieures y trouvent de quoi se déployer sans mesure.
 
Dans cet espace restreint s'étend l'essentiel des richesses nocturnes et des légèretés de l'esprit... De là partent d'immenses champs de vagabondages oniriques et fusent de vastes pensées nébuleuses !
 
Si on cherche bien, au fond de ce patelin sans issue apparente s'ouvre un gouffre de sagesse virgilienne où l'on y perçoit des profondeurs intemporelles, de fécondes ténèbres et de lumineuses mélancolies...
 
Les songes de rustauds y côtoient les mythes à portée d'esthètes. Là-bas le paysan devient l'égal de l'astre. Et le visiteur voyage sans se lasser.

Bref, le quotidien en ce royaume anonyme que l'on croit fait d'ennui, en réalité resplendit chaque matin, chaque crépuscule, chaque nuit de l'année de ses flammes intérieures.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".