29 août 2023

66 - Au cimetière de Clinchamp

On ne s'ennuie pas au cimetière de Clinchamp !
 
Certes, comme dans toutes les nécropoles du monde, les morts y gisent monotonement alignés sous les pieds des visiteurs, l'air y est plus ou moins respirable, l'ambiance pas très gaie, l'avenir guère réjouissant...
 
Et les tombes y demeurent éternellement statiques.
 
Sauf qu'en ce lieu spécifique, il y a quelque chose en plus : c'est là que bat le coeur des pierres.
 
Au fond de ce gouffre d'inertie, l'éloignement, l'isolement sont tels que tout ce qui se fige trop longtemps se met à respirer secrètement.
 
Puis se meut, s'envole, monte et rêve.
 
Comme lorsqu'un homme se recueille, que son âme fait le silence et qu'elle commence à percevoir des phénomènes insoupçonnables, tus par les bruits parasites du quotidien.
 
Dès lors qu'on y prête quelque attention, on se rend compte que la matière la plus dure, la plus grossière, la plus enfouie finit par émettre des signes, des ondes, des vibrations.
 
Cette flamme céleste couronne chaque tête, illumine chaque être, irradie chaque corps créé ici-bas. A l'image des pensées s'échappant des caboches des gens du coin, lesquelles pensées sont bien plus fines que leurs chapeaux de paille et plus légères que leurs sabots. Le bouseux qui chante, lève les yeux au ciel ou pense devient un astre. Ce qui confirme que même les ânes ont des fulgurances, les sangliers des élégances et les souches des délicatesses.
 
Derrière les apparences brutes de ce qui constitue notre environnement (éléments divers, entités, paysages et que sais-je encore), l'esprit éveillé capte toujours des réalités plus subtiles. Et même si nul ne les saisit, ces mystères qui palpitent dans l'ombre n'en existent pas moins.
 
Bref, la glaise, la poussière et les cailloux de ce trou sans fin nommé "Clinchamp" se spiritualisent. Plus  particulièrement dans ce village que n'importe où ailleurs parce que, précisément, rien de notable, selon les critères de ce siècle, ne s'y passe jamais ! Le terreau idéal, en fait, pour qu'y croissent les fleurs les plus extraordinaires, loin du tumulte, des lourdeurs et des regards profanes.

Ainsi, les stèles en ces terres reculées de la Haute-Marne murmurent-elles parfois aux oreilles de ceux qui savent les entendre, des histoires fabuleuses que je ne vous raconterais pas ici : elles ne peuvent être comprises que sur place.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".