09 mars 2023

19 - Clinchamp, au bonheur des larmes

Ce qui m'attire Clinchamp, ce ne sont pas ses éclats mais ses ombres.
 
Certes j'apprécie ses feux et ses astres, mais plus que tout, ses tombes me touchent et ses pierres me hantent.
 
Là-bas, la mort nous parle en toute simplicité. Où que nous posions le regard, l'invisible perce. Mais que les âmes faibles prennent garde : le trou du désespoir n'est jamais loin de leur semelle alourdie de boue !
 
Ce lieu n'est pas fait pour les citadins fragiles et frileux mais pour les esthètes aguerris en quête  de sommet et de vertige.
 
Dans ce pays méconnu, la vie y est figée, la ténèbre lumineuse, l'ambiance aussi grise que la brume.
 
Et les pensées les plus sombres du visiteur avisé finissent par devenir légères à force de s'enfoncer plus bas encore, lasses de leur propre poids. Elles remontent des champs, des chemins, des bois, pour s'envoler vers l'azur. Et deviennent oiseaux, lumière, éther. Plus rien ne peut plus atteindre l'initié, après avoir bu l'air amer de cette terre.
 
Alors l'homme prend de la hauteur. Et rayonne à la même place qu'une figure sidérale. Plein de sérénité. A l'image de la Lune qui apaise tout, elle qui depuis toute éternité luit au-dessus du monde et des mortels, impassible. Le solitaire venu s'échouer volontairement en cet endroit n'y trouve rien, autrement dit tout. Il voit le beau sous le voile, la finesse sous le caillou, la joie sous la torpeur.
 
Ce décor d'ultime banalité inspire les authentiques artistes, émeut les vrais inspirés, charme les réels éveillés. Et déprime tous les autres.
 
Sous ce ciel qui ne fait rêver personne, les jours sont pareils à des automnes, les soirs écrasants comme des statues de plomb, les dimanches chargés d'un ennui plus dur que le marbre.
 
Et quand les nuages annoncent le pire, le meilleur arrive. Mais uniquement pour ceux qui, comme les fantômes, sont aussi sensibles qu'imperméables aux intempéries...
 
La mélancolie émanant de ce royaume sans histoire ni relief est plus troublante qu'ailleurs. Ce théâtre des champêtres pesanteurs est un pur joyau de douleurs et de lourdeurs. Un trésor d'enclumes choisies. Un diamant d'obscurités brillantes.
 
La campagne n'y est point rieuse mais terne, triste, plate... Et claire pourtant.
 
Paradoxalement, c'est dans ses misères que je la trouve glorieuse. Dans ce paysage qui n'est ni un paradis ni en enfer, la moindre étincelle y prend des allures de flambeau.

A travers ses brouillards, ses larmes et ses langueurs, cette cambrousse farcie de bouses de vaches brûle et brille à l'insu de tous, telle une lointaine, imperceptible, anodine mais véritable étoile.

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".