En septembre 1992 sans le savoir je suis allé rejoindre le sommet
étincelant de mon existence, qui constitue également le gouffre de l'ennui et le
pire cauchemar pour tout parisien joliment chaussé et passablement
frileux.
Un point culminant nommé Clinchamp.
Sans m'en rendre compte et sur un inexplicable coup de tête, j'étais parti
à la découverte de ce mystère qui devait changer mes humbles jours en heures
glorieuses.
A l'époque ce village présentait les mêmes apparences qu'aujourd'hui :
aussi ternes que possible et plus lourdes que jamais. Tout pour plaire aux rats
esthètes de mon espèce et faire fuir les caniches en dentelles des grands
boulevards de Paname qui puent le parfum.
Projeté malgré moi dans un espace extraordinaire à la rencontre d'un rêve
palpable, je fis bien involontairement l'expérience d'un vertige qui n'a pas de
nom. En me rendant dans cette contrée perdue, à bien y réfléchir, j'ai emprunté
une route sans fin...
Et elle m'a emmené là où personne n'est encore parvenu : hors de ce siècle,
au seuil d'une immensité, à deux pas de l'infini.
Ou pour le dire autrement, à la porte des nuages.
Voilà ce que j'ai compris : j'ai glissé sur je ne sais quelle bouse
magnifique et lors de ma chute, emporté dans mon élan poétique, je crois bien
que j'ai rejoint les plus hautes nues !
Plus de trente ans après, le sol pragmatique des bipèdes communs est
demeuré loin de mes semelles.
En me rendant dans cette commune, je ne savais pas que j'y laisserais les
plus beaux éclats de ma plume. J'étais bien jeune puisque j'ignorais tout de
l'essentiel de ces champs d'ombres et de ces gens d'ailleurs.
Je ne connaissais rien ni de la puissance évocatrice du sillon de ces
bouseux ni de la magie crépusculaire du fumier de leurs basses-cours.
Je quittai la capitale pour visiter ce centre national de tous les oublis,
le coeur en éveil, mais ne m'attendant pas pour autant à y voir s'illuminer à
ce point ma vie.
Je ne soupçonnais nullement ce choc, en toute innocence je me jetais dans la gueule des ploucs.
Moi j'arrivai dans ce trou pour y chercher des patates, j'en ramenai des
étoiles. Je pensais me retrouver tout au fond d'une terre obscure, mais ce fut
pour moi le plein ciel. Je connus le baptême des hauteurs, à propice distance
des vaches en dessous, et paradoxalement si proche de leur cul.
La parfaite convergence de la boue et de la lumière.
Est-ce le hasard si le destin m'a enraciné à Clinchamp tout en m'y ajoutant
des ailes ?
Mes pieds sont restés dans cet azur où vos normes ne comptent plus.
VOIR LA VIDEO :